Chaque 16 août, fidèle à la tradition, Montpellier revêt ses plus beaux atours pour honorer Saint Roch, celui qu’elle considère comme son enfant le plus illustre.
Cette journée, symbole d’une ferveur populaire enracinée dans des siècles de tradition, permet à la ville de célébrer la mémoire de cet homme dont la vie et les miracles demeurent empreints de mystère.

Photo Fabrice Bertrand
Saint Roch, figure emblématique de la piété chrétienne, est plus qu’un simple saint : il incarne une légende vivante, une icône dont le culte dépasse le temps et l’espace. Vénéré depuis des siècles à travers l’Europe et au-delà, il représente l’incarnation parfaite de la charité chrétienne et du dévouement envers les plus démunis.
Sa popularité ne s’est jamais démentie, particulièrement en temps d’épidémies où les fidèles continuent de l’invoquer comme protecteur. Son histoire, mêlant miracles et actes de compassion, résonne encore aujourd’hui dans notre société moderne.
Dans cet article, nous explorerons son histoire, entre faits historiques et légendes dorées, pour comprendre comment la foi, la tradition et l’héritage culturel ont façonné sa figure. Nous verrons comment ce saint montpelliérain est devenu une figure universelle de la guérison et de l’espérance.
Une vie couverte de mystères
Figure emblématique de la guérison et protecteur contre les épidémies, Saint Roch a marqué les esprits à travers les siècles. Vénéré par le peuple bien avant sa reconnaissance officielle par l’Église, sa légende se transmettait oralement de génération en génération. Sa canonisation officielle survint en 1582, lorsque le pape Grégoire XIII l’inscrivit au martyrologe romain, reconnaissant ainsi l’importance de son culte. Cette reconnaissance fut ensuite confirmée en 1629 par le pape Urbain VIII, consacrant définitivement l’aura sacrée qui entourait son nom.
Au-delà de ses pouvoirs thaumaturgiques contre la peste et les épidémies, l’influence de Roch s’étendait également au monde animal et agricole. Gardien vigilant des vignobles, cette dimension de son patronage se manifesta particulièrement lors des dévastatrices épidémies de phylloxéra qui ravagèrent les vignes françaises sous le Second Empire, période durant laquelle les vignerons désespérés placèrent leurs espoirs en sa divine intervention.
Cette remarquable extension de son pouvoir protecteur, englobant des domaines aussi variés que la santé humaine, le bien-être animal et la prospérité agricole, illustre de manière éloquente la profondeur et l’universalité de son culte, ainsi que son ancrage inébranlable dans les traditions populaires. Au cours des heures sombres qui ont jalonné l’Ancien Régime et le XIXe siècle, alors que les populations étaient décimées par les vagues successives de peste et de choléra, les fidèles se tournaient invariablement vers Saint Roch avec une ferveur particulière, cherchant dans ses miracles attestés non seulement un espoir tangible de guérison, mais aussi la promesse d’une protection divine contre ces fléaux qui semblaient insurmontables.

Vitrail de l’église de Lamalou les Bains
Photo : Loïc Vannson
Les confréries liées à Saint-Roch
L’importance de Saint Roch dans la vie quotidienne de l’époque se manifeste particulièrement à travers les nombreuses confréries professionnelles qui l’ont choisi comme saint patron. Les métiers de la santé, comme les chirurgiens, dermatologues et apothicaires, se sont naturellement placés sous sa protection en raison de ses pouvoirs de guérison. Les artisans, tels que les paveurs de rues, fourreurs, pelletiers, fripiers et cardeurs de laine, l’ont également adopté comme protecteur, démontrant l’étendue de son influence au-delà du domaine médical.
Cette diversité remarquable des professions sous son patronage illustre comment la figure de Saint Roch transcende les simples frontières religieuses pour s’ancrer profondément dans le tissu social de l’époque. Son influence touchait simultanément trois sphères essentielles : le monde du travail avec les artisans, la santé publique avec les soignants, et les métiers manuels avec les ouvriers spécialisés. Chaque confrérie voyait en lui non seulement un protecteur spirituel, mais aussi un guide dans leur pratique quotidienne.
Son rôle de protecteur des animaux ajoute une dimension supplémentaire à sa figure tutélaire. Cette attribution particulière, peu commune chez les saints, témoigne de sa connexion unique avec le monde naturel. Elle renforce son image de bienfaiteur universel, capable de comprendre et de protéger toutes les créatures, qu’elles soient humaines ou animales. Cette proximité avec la nature et les êtres vivants fait de lui un saint particulièrement accessible et proche des préoccupations quotidiennes des fidèles.

Source : British Library, MS Egerton 2125, f.209v
Les caractères iconographiques de Saint-Roch
Comment reconnaître Saint Roch parmi la multitude de saints vénérés par l’Église catholique ?
On le représente généralement comme un jeune homme barbu aux cheveux longs, vêtu d’un long manteau orné de coquilles Saint-Jacques — attribut traditionnel du pèlerin de Saint-Jacques. Cette symbolique n’est pas fortuite : elle rattache Roch à la grande tradition des pèlerinages médiévaux, soulignant sa nature de voyageur et de guérisseur itinérant.
Sa tenue de pèlerin est complétée par un large chapeau qui le protège des intempéries, ainsi qu’un bâton de pèlerin — ou bourdon — sur lequel il s’appuie lors de ses longues pérégrinations.
L’élément le plus distinctif de l’iconographie de Saint Roch reste toutefois le geste par lequel il soulève sa tunique pour montrer les bubons de la peste, ainsi que le rappelle Augustin Fliche dans son ouvrage sur les représentations de Saint-Roch dont vous trouverez le lien en bibliographie de l’article. Ces marques, généralement situées près du pli de l’aine ou au-dessus du genou, témoignent de sa propre affliction et de sa proximité avec les malades qu’il soignait.
Ces stigmates évoquent également le miracle de sa guérison, obtenue par l’intervention divine. Cette double représentation de Roch — à la fois souffrant et guérisseur — illustre parfaitement la dualité de sa figure, incarnant simultanément la souffrance et la rédemption.

Collection du Paratge – Photo : Fabrice Bertrand
Une vie légendaire
La vie de Saint Roch nous est connue principalement à travers des légendes.
Des textes du 15e siècle nous racontent des parties de sa vie. Ces récits le décrivent comme un saint généreux qui incarnait parfaitement les valeurs chrétiennes. Son enfance et sa naissance sont entourées d’histoires miraculeuses.
D’après la tradition, Roch est né à Montpellier vers 1345-1350 dans une famille riche. Son père Jehan était un marchand fortuné. Sa mère Liberia venait d’une importante famille de banquiers de la ville, qui avait reçu l’autorisation du Pape pour prêter de l’argent.
Selon les récits, Roch portait une marque en forme de croix sur le côté droit de sa poitrine dès sa naissance. Ses parents étaient déjà âgés quand il est né, ce qui rendait sa naissance encore plus extraordinaire. Sa mère, qui ne pouvait pas avoir d’enfant, aurait prié longuement jusqu’à ce que Dieu lui accorde un fils destiné à servir le Christ.
La légende raconte aussi qu’un ange envoyé par Dieu serait venu voir Liberia pour lui annoncer cette naissance miraculeuse. Il lui aurait dit : « Ô Liberia, sois certaine que tu recevras sa grâce ». Cette histoire, qui fait penser à l’annonce de la naissance de Jésus, montre que Roch était considéré comme un être spécial, choisi par Dieu pour une mission importante.
Une autre histoire raconte que le petit Roch, comme Jésus, ne prenait pas le sein de sa mère les vendredis, pour respecter les traditions de l’Église.

Vitrail de choeur du sanctuaire Saint-Roch
Photo : Fabrice Bertrand
Un guérisseur montpelliérain sur les routes
Orphelin à 17 ans, Roch fut confié à un oncle qui occupait une place importante dans la vie politique de Montpellier, vraisemblablement celle de consul. Malgré les privilèges liés à sa position sociale, il choisit une voie différente.
Profondément touché par la souffrance d’autrui et guidé par sa foi, il décida de se consacrer aux malades et aux pestiférés. Bien qu’ayant reçu une formation en médecine dans sa ville natale et pouvant prétendre au rang des plus riches patriciens de Montpellier, il préféra renoncer à ses biens pour emprunter le chemin du Cami Roumieu vers Rome.
Avant son départ, il distribua toute sa fortune aux pauvres, scellant ainsi son engagement envers les démunis. Ce renoncement aux ambitions mondaines témoigne de son caractère extraordinaire et de son dévouement absolu à sa mission spirituelle. Sur les routes d’Italie, il accomplit ses premiers miracles, guérissant les pestiférés dans chaque ville et village traversé. À Acquapendente, en Lombardie, il offrit ses services à l’hôpital local où, pour la première fois, son don miraculeux de guérison se manifesta pleinement.
Le pèlerinage en Italie
Après avoir sauvé Acquapendente, Roch poursuit son pèlerinage jusqu’à Rome, où il arrive en 1368 pendant une épidémie de peste. Là encore, son dévouement et son don de guérison impressionnent. Sa renommée grandissante lui vaut une invitation à rencontrer le pape Urbain V, ancien professeur de théologie à Montpellier. Cette rencontre avec le souverain pontife marque un tournant dans la vie de Roch, confirmant sa mission divine.
Impressionné par la sainteté de Roch, Urbain V aurait déclaré en le voyant : « Il me semble que tu viens du paradis ! » Bien que la Papauté fût alors établie à Avignon, cette rencontre témoigne du lien étroit entre Roch et l’Église.
Pendant trois ans, Roch demeure à Rome, où il continue d’accomplir des miracles. Sa réputation de saint guérisseur se répand dans toute l’Italie, et nombreux sont ceux qui viennent à lui pour implorer sa bénédiction.
Mais cette mission divine n’est pas sans conséquence, et Roch lui-même n’échappe pas à la maladie. En 1371, lors de son séjour à Plaisance, il contracte la peste. Contraint de s’isoler dans une forêt voisine pour protéger autrui, il se résigne à affronter la mort. C’est dans cette solitude absolue qu’un miracle survient : un chien apparaît à ses côtés, lui apportant quotidiennement un morceau de pain pour le nourrir. Ce chien, figure centrale dans l’iconographie de Saint Roch, devient dès lors un symbole puissant de la fidélité et de la Providence divine.
Une fin de vie révélatrice de sa qualité de saint
La découverte providentielle de Roch par des chasseurs marque un tournant décisif dans son périple. Ramené vers la civilisation, il reçoit les soins nécessaires, sa réputation de guérisseur et son dévouement exemplaire envers les malades ayant précédé son arrivée. Néanmoins, son destin allait connaître une nouvelle épreuve significative. Animé par sa foi inébranlable et son aspiration constante à porter secours à son prochain, il prend la résolution de regagner sa ville natale de Montpellier. Cette décision, qui témoigne de son attachement à ses racines, va cependant se heurter à des circonstances particulièrement adverses.
En effet, lors de son passage à Voghera, cité située aux environs de Pavie, les autorités locales, en proie à une méfiance exacerbée par le contexte politique troublé de l’époque, l’appréhendent sous suspicion d’espionnage. Dans un acte d’abnégation caractéristique de sa profonde humilité, Roch choisit délibérément de ne pas révéler sa véritable identité. S’ensuit alors une période d’incarcération de cinq années, épreuve qu’il endure avec une résignation exemplaire, transformant cette expérience en une opportunité de rapprochement spirituel avec le Christ. Cette phase de réclusion, loin d’être vécue comme une injustice, devient pour lui un temps de contemplation et d’approfondissement de sa foi, illustrant parfaitement la dimension mystique de son parcours.
C’est seulement à sa mort, en 1379, que son identité est révélée grâce à un document trouvé sur sa dépouille. Ce document — vraisemblablement une lettre ou une relique — confirme son identité véritable et sa mission divine. La nouvelle de sa disparition se propage rapidement, et Roch est immédiatement vénéré comme un saint. Les miracles continuent même après sa mort, attirant une multitude de pèlerins à sa tombe.

La vie de Saint Roch, figure emblématique du patrimoine spirituel montpelliérain, constitue un remarquable entrelacement de faits historiques avérés et de récits hagiographiques médiévaux. Si la distinction entre réalité historique et construction légendaire demeure parfois délicate à établir dans les chroniques qui nous sont parvenues, l’impact considérable de ce saint thaumaturge sur la conscience collective de son époque est indéniable, son rayonnement spirituel traversant les siècles pour nourrir la foi des générations successives.
Le culte de Saint Roch, profondément ancré dans la dévotion populaire, a connu un développement extraordinaire qui transcende largement les frontières de sa cité natale. De fait, sa vénération s’est propagée tel un phénomène spirituel majeur, touchant les populations de l’Europe entière et s’étendant progressivement à l’échelle mondiale. Cette diffusion remarquable témoigne de la puissance évocatrice de sa figure et de l’universalité de son message.
Dans le contexte contemporain, Saint Roch demeure une figure tutélaire de premier plan au sein de l’Église catholique, incarnant avec force les vertus cardinales de charité et de dévouement. Son exemplarité continue de résonner avec une acuité particulière, notamment lors des crises sanitaires qui, à l’instar des pandémies médiévales, rappellent la vulnérabilité de la condition humaine. Ainsi, qu’il s’agisse de périodes d’adversité collective ou de préoccupations individuelles quotidiennes, les fidèles persistent à invoquer son intercession, perpétuant une tradition pluri-séculaire qui témoigne de la vivacité persistante de son culte.
Dans un prochain épisode, nous vous proposerons un autre article sur Saint-Roch, qui tentera de dépasser le mythe et de confronter cette existence mythifiée à la réalité des sources archivistiques. A vendredi prochain pour la suite.
Bibliographie et liens
Transcription de l’ouvrage sur les représentations artistiques de Saint-Roch par Augustin Fliche sur notre site