Aujourd’hui, vendredi 28 novembre à 13 heures, le maire de Montpellier, M. Michaël Delafosse et la présidente de l’Université Paul-Valéry, Mme Anne Fraïsse, dédieront le nouveau parvis de la faculté des lettres, à un illustre historien, Marc Bloch, qui a marqué de son empreinte l’histoire de sa discipline.
Cet événement voulu par la municipalité, à la suite d’une délibération prise au mois de février de cette année est l’occasion pour nous de revenir sur le parcours exceptionnel de cet immense historien qui a su allier érudition, humanisme et courage face à l’adversité.

Source : Archives nationales
Marc Bloch : Une famille au service de l’Histoire
Né en 1886 à Lyon, Marc Bloch grandit dans une famille juive alsacienne profondément attachée aux valeurs républicaines, qui au moment de l’annexion de l’Alsace par l’Empire Allemand en 1871 avait choisi de rester française.
Son père, Gustave Bloch, était reconnu comme un des plus grands spécialistes de l’histoire et de l’antiquité gréco-romaines. Il occupait à ce titre la chaire d’antiquités grecques et latines à la faculté de Lettres de Lyon, avant d’être convié à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm et par la suite à La Sorbonne.
Il fut même sollicité par le célèbre historien Lavisse pour rédiger la partie concernant la Gaule dans la collection de l’ “Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution“. Son texte intitulé “Les origines, la Gaule indépendante et la Gaule romaine“, publié en deux tomes, et qui obtint le prix Thérouanne en 1901, a fait référence pendant de très nombreuses décennies et fut le livre de chevet de très nombreux étudiants.
Gustave Bloch a su transmettre à son fils, dès le plus jeune âge, le goût du savoir et de la rigueur intellectuelle, tout en l’ouvrant aux autres dimensions culturelles. Le jeune Marc ne démérite pas auprès de son père. Il est un élève brillant, qui, comme lui, est fasciné par l’histoire et intègre en 1904 l’École Normale Supérieure après des études au prestigieux lycée Louis-Le-Grand.
Une formation internationale et une vision novatrice
C’est tout naturellement que marchant dans les pas de son père, il accède au grade d’agrégé d’histoire et de géographie en 1908. Il décide alors de poursuivre sa formation à la faculté de Berlin, au cœur d’une Allemagne alors foisonnante sur le plan intellectuel. Cette immersion nourrit son intérêt pour l’histoire comparative et les sciences sociales, disciplines qu’il contribuera à intégrer dans les études historiques françaises.
De retour en France, il devient pensionnaire à la Fondation Thiers jusqu’en 1912. Pendant une année scolaire, il est chargé d’enseigner l’histoire au lycée de Montpellier. La ville qu’il découvre est alors une grande cité universitaire qui depuis maintenant une trentaine d’années a vu renaître la faculté de droit, disparue depuis la Révolution. La vie intellectuelle y est particulièrement intense. Les universités de Lettres, Droit et Sciences sont réunies dans l’ancien hôpital Saint-Eloi devenu après quelques transformations le Palais Universitaire.
Les bibliothèques sont riches, même très riches, et fournissent au jeune historien les matériaux les plus divers qui nourrissent ses travaux. Les Sociétés savantes, comme la Société Archéologique de Montpellier ou l’Académie des Sciences et Lettres sont très actives. Toutefois ce premier lien avec Montpellier est court.
L’année suivante, il est nommé à Amiens et c’est dans cette ville picarde que la Première Guerre mondiale interrompt sa carrière naissante. Mais le jeune historien s’engage pleinement dans cette guerre et s’illustre par son courage sur le front. Il est décoré de la Croix de Guerre et cité quatre fois à l’ordre de l’armée. Ce premier conflit mondial marque une étape importante de sa vie.
Lorsqu’enfin il s’éloigne et les souvenirs deviennent moins douloureux, Marc Bloch retrouve son stylo-plume et se consacre à l’enseignement supérieur tout en envisageant de fonder une famille.
En 1919, il épouse Simone Vidal, issue d’une vieille famille comtadine, avec qui il aura six enfants. La même année, il soutient sa thèse de doctorat, “Rois et Serfs, un chapitre d’histoire capétienne“, dans laquelle il présente les résultats de ses travaux sur l’affranchissement des populations paysannes au XIe siècle. Il obtient ensuite un poste à l’Université de Strasbourg, où il devient titulaire de la chaire d’histoire du Moyen Âge huit ans plus tard.
Quelques années plus tard, en 1924, il publie son oeuvre principale, “les Rois thaumaturges : Étude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale particulièrement en France et en Angleterre“. Dans ce texte où il étudie tout particulièrement le toucher des écrouelles par les monarques anglo-saxons et français, il développe un nouveau rapport à l’histoire en y associant pour la première fois l’anthropologie historique, l’histoire des mentalités et l’histoire comparée. La révolution des Annales est en cours. Dès lors l’étude historique ne se construira plus seulement sur la documentation archivistique mais également sur les éléments archéologiques, artistiques, ethnographiques.
La Création des “Annales” et la nouvelle approche historique
En 1929, avec son collègue Lucien Febvre, Marc Bloch fonde la revue des “Annales d’Histoire économique et sociale”. Cette publication révolutionne la manière d’aborder l’histoire. Les participants y intégrent les sciences sociales, l’anthropologie et l’économie. Marc Bloch travaille longuement à son bureau et produit quelques textes qui sont de suite salués par le monde savant. Parmi ses œuvres majeures, on compte “Les caractères originaux de l’histoire rurale française“ (1931) et “La société féodale“ (1939-1940), qui témoignent de sa vision novatrice et son refus de pratiquer “l’histoire méthodique historisante”.
L’université parisienne et plus particulièrement La Sorbonne voulent l’accueillir en leur sein. En 1937, il y rentre en tant que maître de conférences, et l’année suivante, en tant que professeur, détenteur de la chaire d’histoire économique. A nouveau la guerre vient interrompre son travail. Il s’engage alors qu’il a 53 ans et se trouve très affaibli .
Il n’hésite pas à se qualifier de “plus vieux capitaine de l’armée française” et va profiter des quelques heures de repos que son service militaire lui octroie pour rédiger un livre qui sera publié à titre posthume, “L’étrange défaite”. Dans cet ouvrage, il étudie les causes de la capitulation de 1940 et les responsabilités de tous les niveaux des institutions et de la société, pointant la responsabilité des politiques et des militaires, qui s’étaient préparés à “la guerre de la veille”, selon ses propres mots, et de chacun des groupes sociaux français.

Dans cet ouvrage poignant, Marc Bloch offre une analyse lucide de la débâcle française et appelle à une refonte profonde des structures sociales et politiques du pays.
Survivre à l’antisémitisme à Montpellier
La montée du régime de Vichy et l’adoption des lois antisémites en 1940 bouleversent la vie de Marc Bloch. En vertu du statut des Juifs du 3 octobre 1940, il est exclu de la fonction publique, chassé de son domicile qui est réquisitionné, et assiste, impuissant à la confiscation de sa bibliothèque qui est expédiée par train en Allemagne.
Quelques mois plus tard, en janvier 1941, en raison de son apport monumental à l’Université française, il est à nouveau autorisé à enseigner à la faculté de Strasbourg qui est installée à Clermont-Ferrand. Il refuse alors de s’exiler aux Etats-Unis et parvient à obtenir un poste à la faculté des lettres de Montpellier.
Au sein de cette université, il doit faire face à l’hostilité du doyen Augustin Fliche, fervent partisan du régime de Vichy et antisémite convaincu, mais également tenant de la vielle tradition historique. Malgré les humiliations et les obstacles, Marc Bloch continue d’enseigner et de partager sa passion pour l’histoire avec ses étudiants montpelliérains. Il se voit même refuser l’accès à la bibliothèque universitaire et plusieurs de ses cours sont annulés à la demande du doyen qui voit dans ce nouveau professeur un agitateur qui pourrait provoquer de profonds désordres au sein de son établissement.
L’engagement dans la Résistance et le sacrifice ultime
Refusant de se soumettre à l’oppression, Marc Bloch rejoint en 1943 les Mouvements Unis de la Résistance (M.U.R.) à Lyon. Il participe activement à la réorganisation des réseaux résistants dans la région Rhône-Alpes, mettant son intelligence et sa détermination au service de la liberté.
Cependant, le 8 mars 1944, il est arrêté par la Gestapo. Malgré la torture, il ne livre aucune information sur ses camarades. Trois mois plus tard, le 16 juin 1944, Marc Bloch est exécuté à Saint-Didier-de-Formans, près de Lyon, aux côtés de vingt-neuf autres résistants. Son sacrifice incarne le courage et l’engagement de toute une génération face à la barbarie.
Montpellier Rend Hommage à Marc Bloch
Aujourd’hui, en dédiant le nouveau parvis de la faculté des lettres à Marc Bloch, Montpellier honore non seulement un historien de renom mais aussi un homme qui a défendu les valeurs de liberté et de justice jusqu’à son dernier souffle. Cet hommage symbolise la reconnaissance de la ville envers un esprit éclairé qui a marqué son histoire et permettra à chacun des étudiants et professeurs qui emprunteront ce parvis de se rappeler de son enseignement et de la seule foi qu’il avait, celle de la République.

Bibliographie et liens :
Dossier de chevalier de la Légion d’Honneur de Marc Bloch – Source : Archives nationales ; site de Pierrefitte-sur-Seine, Cote(s) :19800035/163/20935
Courrier de Suzette et Matis Bloch, ayant-droits de Marc Bloch, adressé à M. le Président de la République paru dans la revue “La République des Lettres”.
6 commentaires
Angela Prinz
C’est un excellent article qui résume bien la vie de ce brillant historien.
Fabrice Bertrand
Merci chère Angela pour ce retour. Très content que cet article vous ait plu. A bientôt, et bonne journée à vous
ROBERT
C’est avec bcp d’intérêt que je lis tous vos documents. Une mine de de renseignements. Merciii
Fabrice Bertrand
Merci bien, il me semblait nécessaire de rappeler l’histoire de ce grand personnage et son lien avec Montpellier qui l’a obligé à plonger dans la Résistance pour faire face à l’adversité. Très content que cet article vous ait intéressée. A bientôt, et bonne journée.
Pate cpazal
Merci pour cette lecture matinale.j apprend s tellement de choses à vous écouter et lire. Bon vendredi à bientôt amitiés
Fabrice Bertrand
Chère Michèle, merci infiniment. A bientôt.