11 novembre 1918 – l’armistice à Montpellier

En ce radieux 11 novembre 1918, Montpellier s’éveille sous un ciel limpide, où le soleil étincelant fait flamboyer les drapeaux qui flottent fièrement dans l’azur si caractéristique de notre cité. Les habitants, sortis en masse de leurs demeures, lèvent les yeux vers ces étendards, ressentant une fierté profonde et inédite qui embrase leurs cœurs comme jamais auparavant.

Affluant de toutes les ruelles du centre-ville, la foule se presse aux abords de la Préfecture, envahit la place de la Comédie et se rassemble sur la place de la Canourgue, devant l’Hôtel de Ville. L’impatience se lit sur chaque visage, chacun attend avec espoir la confirmation des rumeurs qui, depuis le nord, se sont répandues et se font attendre depuis plus de quatre ans. Avant de quitter leurs foyers, nombreux sont ceux qui ont orné leurs fenêtres de drapeaux et de banderoles tricolores, dont les plis victorieux semblent couvrir de honte ceux qui ont osé imposer la force au droit, plongeant l’Europe dans une guerre terrible qui a saigné à blanc des générations entières.

Enfin, à onze heures vingt-cinq, le télégramme officiel parvient à la Préfecture. L’armistice est signé… Signé, enfin…

La nouvelle se propage telle une traînée de poudre. Les cloches de la cathédrale s’ébranlent, sonnant à toute volée pendant près d’une heure ! Des ordres sont aussitôt donnés par les autorités. Dans chaque commune, les mêmes cloches qui ont accompagné de leurs glas funèbres les soldats tombés au champ d’honneur portent cette fois la bonne nouvelle d’une paix tant espérée.

Aux quatre coins de Montpellier, l’exaltation gagne les esprits, les embrassades se multiplient. Jour de triomphe et de gloire, jour où le “démiurge ivre” est enfin vaincu, son ambition d’hégémonie mondiale définitivement anéantie. Jour d’allégresse ou aube de nouveaux espoirs, c’est surtout le jour où prennent fin, enfin, les souffrances et les angoisses d’un avenir incertain.

En ce jour d’automne, la joie renaît, faisant naître l’espérance de retrouvailles prochaines. Mais au milieu de cette allégresse, la tristesse demeure omniprésente. On pense aux disparus, à ces milliers de proches dont les visages ne figureront plus sur les photographies des grandes occasions familiales. Nulle famille n’est épargnée. Chacune a payé son tribut à cette hécatombe humaine orchestrée par des généraux implacables. L’ivresse du triomphe est cruelle, inséparable du souvenir de ceux qui ont arraché cette liberté au prix de leur vie, en se sacrifiant.

Perdus dans ces pensées, trois avions fendent le ciel de Montpellier. Ils sont ovationnés avec une ferveur indescriptible. Venus de leur aérodrome sur le littoral, ils exécutent d’audacieuses manœuvres, permettant aux Montpelliérains de saluer les cocardes tricolores qui percent l’azur de leurs couleurs victorieuses.

À trois heures, le mot d’ordre ayant été donné, une grande manifestation s’organise, renforcée par le nombre des employés administratifs et commerciaux qui bénéficient de deux jours de congé. En tête, les fiers facteurs de la ville portent en procession le buste de la République. Des dizaines de milliers de Montpelliérains défilent derrière eux, entonnant la Marseillaise et le Chant du Départ. Les soldats en permission les rejoignent, les commerçants ferment boutique, baissent leurs rideaux… Tout Montpellier est dans la rue. Il n’est plus possible de circuler autrement qu’en suivant le cortège. La place de la Comédie, la rue de la Loge, la Grand-Rue, les boulevards Victor-Hugo, de l’Observatoire, du Jeu-de-Paume, les places de la Préfecture et de la Mairie, toutes les grandes artères sont noires de monde. De nombreux cortèges sillonnent les rues, drapeaux en tête, les manifestants arborant les trois couleurs au chapeau, à la boutonnière, sur la poitrine, en brassard ou en cravate.

À vingt et une heures, après avoir partagé ce qu’ils ont pu trouver, les Montpelliérains se retrouvent sur la place de la Comédie pour la retraite aux flambeaux organisée par la municipalité. Les édifices publics sont illuminés, brièvement, le temps que le défilé passe devant eux. La pénurie de gaz rappelle l’effort de guerre qui a dû être consenti. Arrivés devant la Préfecture, le Préfet, depuis son balcon, s’adresse au peuple de Montpellier :

« Français,

Dans la joie qui emplit aujourd’hui nos cœurs, je vous invite à tourner vos pensées vers nos armées, vers les fils de la République qui nous ont offert cette journée et préparé la victoire contre ceux qui voulaient nous asservir. Je vous demande de crier avec moi : “Vive la France ! Vive la République ! Vive nos poilus !” »

La foule acquiesce avec enthousiasme et, à ces clameurs, associe des témoignages de reconnaissance à l’égard de Clemenceau et de Foch.

« Vive Clemenceau ! Vive Foch ! », scande-t-on en l’honneur de ceux qui, sans le savoir encore, entreront dans l’Histoire comme les héros de cette guerre que l’on n’appelle pas encore la Première Guerre mondiale.

Le temps est splendide, c’est l’été de la Saint-Martin, et il y a longtemps que Montpellier n’a pas connu une journée si lumineuse, sous un ciel si pur et si bleu.

C’est le grand soleil de la victoire.

Après des études en science politique et en géographie et histoire de l'urbanisme, Fabrice Bertrand, né à Montpellier, anime depuis 2016 le groupe Facebook "Montpellier Histoire et Patrimoine" qui compte près de 30.000 membres. Il est aujourd'hui en charge de plusieurs projets, qui visent à mettre en valeur le patrimoine scientifique et intellectuel montpelliérain.

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