Louise Guiraud (1860-1918) : une pionnière de l’historiographie montpelliéraine dans un siècle d’érudits

Au crépuscule du XIXe siècle, alors que l’historiographie locale connaissait un renouveau significatif et que les études historiques entraient dans une ère de professionnalisation croissante, une figure exceptionnelle émergea dans le paysage intellectuel montpelliérain. Louise Guiraud, par son érudition remarquable et sa rigueur méthodologique, allait s’imposer comme l’une des plus éminentes historiennes de la cité languedocienne, dans un univers alors exclusivement masculin.

Louise Guiraud jeune
Louise Guiraud (1860-1918)

Louise Guiraud : une vocation précoce forgée par les épreuves

Louise Guiraud naquit à Montpelier le 22 juillet 1860 au sein d’une famille de négociants drapiers qui résidait dans l’hôtel du Gouvernement, dont les fenêtres donnaient sur la place de la Comédie. Sa mère ne survécut pas à sa naissance et Louise fut donc orpheline dès son premier cri. Son oncle et sa tante se substituèrent à cette affection manquante et proposèrent au père de Louise de se charger de l’éducation de sa nombreuse descendance. Sa tante était la sœur de sa mère et que son oncle était le frère de son père. Elle grandit au milieu de cet amour familial, avec ses sœurs pour qui elle garda toute sa vie une grande affection. 

Louise Guiraud Acte de de naissance 23 juillet 1860
Louise Guiraud – Acte de de naissance – 23 juillet 1860
Source : Archives Départementales de l’Hérault, cote : 5 MI 1/85

De l’ensemble des enfants de Numa Guiraud, elle était assurément la plus douée et faisait l’admiration de toutes les personnes qui la rencontraient. Très jeune, elle disposait d’une grande capacité de réflexion, à tel point que le prêtre de l’église Notre-Dame-des-Tables pensait que dès six ans, elle pouvait recevoir Jésus pour sa première communion. 

A l’âge de neuf ans, le 18 novembre 1869, Louise perdit son père. Sa tante et son oncle protégèrent ses enfants avec passion. Sa tante, Madame Emilien Guiraud, représentée sur la photo, à gauche, fut un exemple pour Louise. Elle n’avait jamais eu d’enfant et s’était donnée toute entière à la dévotion religieuse et s’impliquait fortement dans la vie paroissiale de Notre-Dame-des-Tables.

L’émergence d’une intellectuelle dans un monde d’érudits

Le 28 mars 1879, couronnant un parcours académique brillant, elle obtint son brevet supérieur en tant que major de promotion. Si sa situation de famille lui permettait initialement de mener une vie d’études et de rentière, les circonstances économiques la conduisirent à fonder un établissement d’enseignement qui prospéra rapidement, attirant les enfants des familles bourgeoises de Montpellier, séduites par sa réputation de piété et de rigueur.

Cette réussite professionnelle lui permit de se consacrer à sa véritable passion : l’érudition historique et archéologique de sa ville natale. Dès 1885, elle publia son premier ouvrage consacré à l’église Notre-Dame-des-Tables, qu’elle qualifia modestement de “dette de famille et de gratitude personnelle”. S’ensuivit une série de publications remarquables, couronnée par son œuvre maîtresse sur les fondations du Pape Urbain V à Montpellier (1889-1891), qui établit définitivement sa réputation d’historienne.

Une pionnière dans l’historiographie montpelliéraine

L’année 1891 marqua un tournant décisif dans sa carrière : Louise Guiraud devint la première femme admise au sein de la vénérable Société Archéologique de Montpellier. Dans cet aréopage exclusivement masculin, elle sut s’imposer par l’excellence de son érudition et la rigueur de sa méthodologie, gagnant le respect de ses pairs qui, selon les témoignages, “l’écoutaient comme un maître”.

Sa méthode d’investigation historique, caractérisée par une exploitation méticuleuse des sources primaires, notamment les anciens compoix et les actes de mutations de propriétés, fit école. Elle développa une approche novatrice, croisant avec une perspicacité singulière l’analyse des documents d’archives et l’étude du terrain, s’appuyant sur une documentation jusqu’alors largement inexploitée.

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“Plan de la ville médiévale de Montpellier avec ses enceintes et ses faubourgs” in « Recherches topographiques sur Montpellier au Moyen Age » publiées par Louise Guiraud en 1895.
Source : https://www.montpellier.fr/4053-cartographie-ancienne-de-montpellier.htm

Des contributions majeures à l’histoire urbaine

Parmi ses apports les plus significatifs figure l’identification précise de l’emplacement du premier Hôtel de Ville de Montpellier, question qui avait longtemps divisé les historiens. Ses recherches minutieuses, étayées par une analyse approfondie des actes de 1205 et 1361, permirent non seulement de rectifier les assertions erronées de certains de ses contemporains, mais également d’établir une chronologie précise de l’évolution architecturale de cet édifice emblématique.

Son labeur assidu dans les archives municipales la conduisit à offrir à la Bibliothèque municipale un plan détaillé de Montpellier au Moyen Âge, synthèse graphique de ses recherches qui constitue, aujourd’hui encore, une référence incontournable pour les historiens. Ce document, fruit d’années de recherches patientes, témoigne de sa capacité exceptionnelle à restituer la complexité de l’organisation spatiale de la ville médiévale.

En 1913, elle prit part avec Maurice Gennevaux et Paul Cazalis de Fondouce au comité des fouilles de la crypte de Notre-Dame-des-Tables. Elle prodiguait de nombreux conseils aux ouvriers, faisait œuvre d’archéologue au même rang que Joseph Berthelé, dont elle était la contemporaine. Ses dernières années furent consacrées à la rédaction d’une œuvre qu’elle considérait comme son chef-d’œuvre. Il s’agissait d’une grande étude sur la Réforme à Montpellier.

Louise Guiraud présentant ses travaux à M. Léon Coste et Louis Bonnet
Louise Guiraud présentant ses travaux aux éminents historiens de la Société Archéologique, M. Gaudin, Coste et Bonnet.
Source : Collection Fabrice Bertrand

Un double héritage : érudition et spiritualité

Louise Guiraud sut conjuguer avec une rare harmonie son engagement scientifique et sa profonde spiritualité. À la mort de sa tante, elle reprit ses fonctions au sein de l’archiconfrérie des Pénitents Blancs et de l’association de Notre-Dame-des-Tables, manifestant une générosité remarquable. Elle fit notamment transformer ses bijoux de famille en un grand ciboire pour sa paroisse, et en 1918, convertit son argenterie en vases sacrés pour la reconstruction des églises du Nord de la France.

Ses dernières années furent consacrées à la rédaction d’une grande étude sur la Réforme à Montpellier, publiée en 1918, qui fut saluée unanimement par les érudits locaux et nationaux. Elle s’éteignit le 6 mai 1918, à l’âge de 58 ans, d’épuisement après soigné passé les dernières années à soigner les blessés de guerre, laissant une œuvre considérable qui continue d’éclairer notre compréhension de la ville médiévale.

Conclusion

Lors de ses obsèques à Notre-Dame-des-Tables, Pierre Vialles, vice-président de la Société Archéologique de Montpellier, la compara au grand Alexandre Germain, soulignant qu’il fallait remonter à ce prestigieux historien pour trouver un érudit de sa stature. Ce témoignage éloquent résume parfaitement la place exceptionnelle qu’occupe Louise Guiraud dans l’historiographie montpelliéraine : celle d’une pionnière qui, par la seule force de son intelligence et de sa rigueur méthodologique, sut s’imposer dans un monde d’érudits et léguer à la postérité une œuvre dont la valeur scientifique demeure intacte.

“Nous, ses collègues et amis, demeurons inconsolables devant ce cercueil qui renferme les restes mortels d’une femme d’élite que nous écoutions comme un maître, que nous suivions comme un modèle, que nous vénérions comme une sainte”.

Après des études en science politique et en géographie et histoire de l'urbanisme, Fabrice Bertrand, né à Montpellier, anime depuis 2016 le groupe Facebook "Montpellier Histoire et Patrimoine" qui compte près de 30.000 membres. Il est aujourd'hui en charge de plusieurs projets, qui visent à mettre en valeur le patrimoine scientifique et intellectuel montpelliérain.

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