“Les vendanges” par Max Leenhardt – 1901

Les vendanges constituent un patrimoine culturel emblématique du Languedoc, témoignant de l’alliance séculaire entre cette région méridionale et sa tradition viticole. Cette pratique ancestrale, profondément ancrée dans l’identité régionale, a inspiré de nombreux artistes au fil des siècles. Dans les collections muséales et privées, on découvre une multitude d’œuvres représentant les vignobles languedociens, évoquant les célébrations bachiques et les figures mythologiques de Dionysos et Bacchus.

Max Leenhardt : Un Maître de la Peinture Régionale

Au début du XXe siècle, Max Leenhardt, figure majeure de l’art régional languedocien, s’approprie cette thématique des vendanges jusqu’à en faire l’un de ses sujets de prédilection. Issu de l’aristocratie financière protestante montpelliéraine, l’artiste entretient une relation privilégiée avec le terroir viticole qu’il connaît intimement.

La famille Leenhardt possède un vaste domaine à Clapiers, où s’élève un imposant cottage d’inspiration britannique, aujourd’hui désigné sous l’appellation de “château”. Cette propriété s’étend sur d’importantes surfaces de garrigue et un remarquable vignoble, source significative de revenus pour cette branche de la famille Leenhardt.

Un Chef-d’œuvre monumental des Vendanges

En 1900, lors d’un séjour prolongé dans la propriété familiale au nord de Montpellier, Leenhardt est saisi par l’extraordinaire vitalité des vendanges. Cette période marque également la renaissance du vignoble après la crise du phylloxéra, symbolisant un renouveau porteur d’espoir pour le monde rural.

Parmi sa production artistique consacrée à cette thématique, une œuvre monumentale se distingue particulièrement : un tableau aux dimensions impressionnantes de 1,75 mètres de large sur 3,3 mètres, actuellement conservé dans les collections du Crédit Agricole. Cette toile magistrale, intitulée “Les Vendanges”, fut réalisée en 1901 et s’inscrit dans la lignée des grands formats caractéristiques de l’artiste.

Une Célébration de la Viticulture Languedocienne

L’œuvre, achevée durant l’hiver 1901-1902, connaît une reconnaissance significative lors de sa présentation au prestigieux Salon de Paris en 1902. Sa sélection pour l’Exposition Universelle de Saint-Louis deux ans plus tard témoigne de son importance dans la représentation de la prospérité viticole héraultaise.

La composition révèle une scène animée où une multitude de vendangeuses s’affairent à la récolte, certaines détachant les grappes de raisins, d’autres transportant paniers et seaux. Cette représentation exclusivement féminine illustre remarquablement la renaissance du vignoble, désormais régénéré grâce aux ceps américains. Les couleurs caractéristiques de Leenhardt confèrent à cette scène de vendanges une vitalité exceptionnelle, évoquant les célébrations bibliques de l’abondance.

Huile sur toile de Max Leenhardt "Les Vendanges", peint en 1901
Huile sur toile de Max Leenhardt “Les Vendanges”, peint en 1901
Propriété du Crédit Agricole (DR)

Analyse de la peinture de Max Leenhardt par Eloy-Vincent

Nous avons eu la chance, lors de notre dépouillement du journal “La Vie montpelliéraine”, de retrouver un article du 23 mars 1902 écrit par Eloy-Vincent à propos de cette toile.

En voici la transcription :

C’est une vraie bonne fortune pour les amateurs de peinture, toutes les fois que parait un nouveau tableau de Max Leenhardt. Cette fois-ci la bonne fortune n’est rien moins qu’un événement. Jamais, en effet, Leenhardt n’avait si bien dit sa pensée, la vision qu’il a des choses et de la nature, les émotions qu’il y trouve; nulle part, en aucun de ses tableaux, il n’avait encore mis autant de lumière, de couleur, de mouvement, de vie, un sentiment plus profond et plus exact de la réalité, plus d’art enfin; car le beau n’est après tout que la splendeur du vrai. Et ce qui ajoute, je ne dis pas seulement au charme de ce tableau, ce qui en double la valeur, c’est que ce paysage, ces lueurs, cette activité ont une couleur locale toute particulière; c’est l’image vivante de ce Midi, à l’heure ou il est dans la plénitude de sa force et tout l’éclat de sa personnalité si originale et puissante. C’est le moment où la terre, déserte, solitaire, depuis de longs mois endormie dans le silence glacé des jours d’hiver, ravagée et comme oubliée en son incurable stérilité, tout à coup s’éveille au chant des cigales et se dresse en sa robe vermeille, dont la ceinture éclate sous l’irrésistible poussée d’une prodigieuse fécondité.

C’est précisément cette explosion de vie que Leenhardt a voulu peindre ; et j’avoue qu’il y a merveilleusement réussi. C’est la vie exubérante. débordante, la joie de vivre, joie du bon sang et du bon vin, dans ces pampres fous, qui se jettent en tous sens, abondants, pressés, océan de verdure avec, par place, des ors étincelants et des taches de carmen, d’un superbe effet, précurseurs de l’automne dorée : des vendangeurs, vivants, vrais, groupés, non plus d’après une symétrie de convention, ou suivant un plan délibéré dans l’atelier, mais suivant les nécessités de l’œuvre ou des sympathie spontanées : et là-bas, tout là- bas, en des lointains ou le regard ne porte plus, d’autres groupes et encore et toujours, se succédant à l’infini dans la plaine immense chauffée par le soleil, enfiévrée, toute vibrante de l’haleine et des chants des travailleurs.

Plus d’une fois, j’ai été sévère pour Max Leenhardt. Quelques amis m’en ont fait des reproches. Je ne le regrette point et je suis persuadé que Leenhardt ne m’en a jamais su mauvais gré. Max-Leenhardt, en effet, n’est point un peintre vulgaire, qui ait à perdre à être discuté. Il est de ceux que la critique honore et grandit, en écartant ce qui dans leur œuvre paraît indigne de leur talent, pour ne retenir, souligner et exalter que ce qui est vraiment beau, les qualités seules réelles et durables. Ici, après avoir vu, revu, je ne me sens pas le courage de faire la plus petite réserve, tout entier sous le charme de cette œuvre puissante, car, il n’y a pas à dire, c’est une œuvre, que cette Vendange de Max-Leenhardt.

Ce tableau des Vendanges est toute une révolution dans la peinture de Leenhardt, comme si le peintre de la Tour de Constance et du Prêche au désert inaugurait une nouvelle manière. Se serait-il enfin aperçu combien est nécessairement froide, roide et terne, quelque talent qu’on y mette, une peinture que j’appellerai apologétique, où l’on sent la doctrine, une doctrine sinon hostile à l’art, à tout le moins peu favorable au développement de l’art sous l’espèce de la peinture, quelque chose comme un dimanche à Nimes au sortir du sermon, ou quelque fête locale dans une petite ville huguenote des Cévennes.

Il faut convenir que Leenhardt inaugure brillamment ce retour à la nature et à la vie réelle. Rien d’artificiel, rien qui sente l’atelier et son horizon étroit. rien de factice dans ce tableau. Chaque chose à sa place naturelle, les moindres détails aussi bien que l’ensemble vus, pour ainsi dire vécus; les personnages pris à la besogne, sans pause, de vrais paysans de l’Hérault; deux femmes, aux reins solides, à la croupe en l’air, la tête enfoncée dans les pampres, cherchant, sous la feuillée épaisse et jalouse, d’une main sensuelle, le fruit mur, déjà vues dans la Terre de Zola. Et comme toute grande poésie a ses racines dans le réel, ce réalisme est inondé d’idéal. Est-il beau ce jeune vendangeur, en sa pose simple, abandonnée et pourtant noble, le visage rasé avec son profil de romain, sur la tête, le sac des porteurs de cornue, que l’on dirait rapporté de quelque médaillon antique. Et combien franche et naturelle la petite mère à laquelle il parle d’amour, avec ses larges flancs, ses chairs gonflées de sève et de jeunesse, soulevées par un rire mal contenu.

Mais je n’en finirais point si je voulais dire une à une toutes les beautés de ce tableau : la vigne endiablée, qu’affole une lumière chaude aux reflets de cuivre; la plaine au loin épandue, grouillante, animée, bavarde; la ligne d’horizon si pure, nette et pourtant fondue en des douceurs bleuâtres et transparentes; tout un ensemble mû par une même passion comme s’il y avait là une âme, non point cette âme diffuse, évanouie en l’éparpillement insaisissable d’un mysticisme énervant, mais la grande âme vivante des choses, d’ou jaillit la vie, et qui pousse à l’effort, à l’action, à la vertu.

Tel est ce tableau, incontestablement un des plus beaux qu’ait peints Max Leenhardt.

Me sera-t-il permis en terminant cette note très incomplète, qui ne dit qu’une partie de la joie que j’ai éprouvée à voir cette œuvre nouvelle d’un peintre possèdant à un très haut degré le sentiment du Beau et point embarrassé pour traduire ses impressions, me sera-t-il permis d’exprimer une opinion et un désir? Il me parait que Max Leenhardt a trouvé sa voie, voilà l’opinion. Je souhaite qu’il consente à s’y maintenir, voilà le désir.”

Au final. Que retenir ? Qu’il s’agit d’un tableau de la maturité de Max Leenhardt ! Oui d’accord, mais cela reste une réflexion d’historien de l’art. Ce que je préfère retenir de cette oeuvre c’est l’aspect général qui s’en dégage, la description d’une ruralité joyeuse qui naît à l’occasion de ces vendanges.

Pour aller plus loin, bibliographie et liens

ELOY-VINCENT Albert, 1902 .- “Vendanges en Languedoc de Max Leenhardt” in La vie montpelliéraine et régionale, gazette littéraire, théâtrale, humoristique, mondaine, 23 mars 1902, n° 392

Laborie Isabelle .- “Vendanges et peinture languedocienne – Max Leenhardt, illustrateur du renouveau de la viticulture”. 2019, hal-02091171

Après des études en science politique et en géographie et histoire de l'urbanisme, Fabrice Bertrand, né à Montpellier, anime depuis 2016 le groupe Facebook "Montpellier Histoire et Patrimoine" qui compte près de 30.000 membres. Il est aujourd'hui en charge de plusieurs projets, qui visent à mettre en valeur le patrimoine scientifique et intellectuel montpelliérain.

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