On le sait tous, Montpellier est une ville qui se distingue par la richesse de son patrimoine historique et culturel. Parmi les joyaux de cette ville, le Rockstore occupe une place particulière. Bien que beaucoup le connaissent pour son ambiance électrique et ses concerts endiablés, peu de Montpelliérains savent que ce lieu emblématique cache une histoire bien plus ancienne, liée à la religion, aux guerres, et aux transformations successives qui ont marqué l’histoire de la ville.
Un passé religieux méconnu
L’histoire du Rockstore commence bien avant qu’il ne devienne ce temple du rock que l’on connaît aujourd’hui. Au XIIe siècle, bien avant que les guitares électriques ne résonnent entre ses murs, cet emplacement était le centre d’un important ensemble conventuel, relevant de l’ordre des Cordeliers, un groupe de moines franciscains. Ces religieux, présents au cœur de Montpellier, y fondèrent un couvent qui dominait le quartier.
Au XVIe siècle, lors de la période des Guerres de Religion qui déchira la France et plus particulièrement notre région, ce lieu sacré fut témoin de violents affrontements entre catholiques et protestants. Les troubles de 1562 entraînèrent la destruction du couvent. Toutefois, l’histoire religieuse de l’endroit ne s’arrêta pas là. Avec la signature de l’Édit de Nantes en 1598 par Henri IV, garantissant une relative liberté de culte aux protestants, le lieu fut progressivement réinvesti par les religieux qui le recontruire en 1615. Malheureusement, ce temple fut de nouveau détruit en 1621 et en 1623, avant d’être à nouveau rebâti.
La situation de cet édifice religieux resta inchangée jusqu’à la révocation de l’Édit de Nantes en 1685 par Louis XIV, qui marqua la fin de la tolérance religieuse pour les protestants. Le temple prit le nom d’« Observance », nom qui fut également donné au quartier environnant.
Un lieu marquant de l’histoire impériale
Au-delà de son rôle religieux, l’église de l’Observance est liée à un épisode touchant de l’histoire familiale de Napoléon Bonaparte. En 1785, le père de celui qui deviendra Empereur, Charles Bonaparte, souffrant d’un cancer à l’estomac, vint à Montpellier pour se faire soigner. Malheureusement, il y décéda et fut inhumé dans cette chapelle. Ce lien direct avec la famille impériale confère au lieu une aura historique particulière, bien qu’aujourd’hui, les restes de Charles Bonaparte aient été transférés, à la demande de ses enfants, à Saint-Leu-La-Forêt.
Une transformation radicale au fil des siècles
Comme beaucoup d’autres bâtiments religieux à cette époque, la chapelle de l’Observance fut cédée en tant que bien national pendant la Révolution française. Toutefois, elle ne perdit pas complètement son caractère sacré. En 1803, elle fut acquise par le Consistoire de Montpellier et retrouva son rôle de lieu de culte cette fois-ci protestant. En 1821, elle fut une nouvelle fois reconstruite, cette fois avec la façade néoclassique que l’on peut encore admirer aujourd’hui, avec son fronton triangulaire qui évoque la solennité de l’architecture antique.
Cependant, la construction d’un nouveau temple protestant sur la rue Maguelone, non loin de la gare, à la fin du Second Empire, signa la fin de l’affectation religieuse de cette chapelle. C’est alors que son destin prit un tournant inattendu et passionnant.
De la religion à la culture
Au début du XXe siècle, l’édifice, libéré de sa vocation religieuse, changea complètement d’usage. D’abord, il devint une imprimerie, accueillant la célèbre Imprimerie Centrale du Midi. Cependant, la véritable révolution se produisit peu après. L’essor de l’automobile fit de ce lieu le tout premier garage automobile de Montpellier sous l’enseigne Caraman, spécialisé dans la marque De Dion-Bouton, qui fut une des marques pionnières dans l’automobile française.
Puis, en 1927, l’ancien temple entra véritablement dans l’ère du divertissement avec l’installation du cinéma Odéon. Ce cinéma, qui devint ensuite le Grand Odéon, marqua profondément la vie culturelle montpelliéraine, en devenant un lieu emblématique où les habitants de la ville venaient découvrir les dernières nouveautés du septième art.
Mais ce n’était que le début de la transformation de ce bâtiment historique en un lieu iconique de la scène musicale.
Le temple du rock
C’est dans les années 1980 que l’ancien Grand Odéon connut sa dernière et plus célèbre transformation. En 1986, après avoir servi de salle de concert et de boîte de nuit disco, il fut converti en Rockstore, un lieu dédié à la musique rock. Cet établissement est rapidement devenu incontournable dans la vie nocturne de Montpellier, attirant des amateurs de musique de toute la région.
Le Rockstore est surtout reconnaissable à l’élément qui orne sa façade : l’arrière d’une Cadillac rouge, qui semble percuter le mur du bâtiment. Cette installation, qui est une référence directe au premier Hard Rock Café de New York, est devenue l’un des symboles de la ville. Elle attire l’œil des passants et marque l’entrée de ce lieu où l’histoire et la modernité se rencontrent de manière spectaculaire.
Un patrimoine protégé
Malgré ses nombreuses transformations, l’ancien temple protestant de la rue de Verdun n’a jamais complètement perdu son lien avec le passé. Aujourd’hui, il est protégé au titre des Monuments historiques, ce qui garantit la préservation de ce bâtiment unique. Ce statut reflète l’importance de ce lieu dans l’histoire de Montpellier, à la fois comme témoin d’un passé religieux complexe et comme symbole de la culture populaire contemporaine.
Le Rockstore n’est donc pas simplement un lieu de concerts ou de soirées, c’est aussi un témoin vivant de l’histoire montpelliéraine. Il incarne la capacité de la ville à se réinventer sans pour autant oublier ses racines.
Le Rockstore est bien plus qu’un simple lieu de divertissement. Son histoire, riche et complexe, s’étend sur plusieurs siècles et traverse des époques aussi diverses que les guerres de religion, l’ère napoléonienne, la Révolution industrielle et la culture rock des années 1980. Aujourd’hui, il est l’un des rares endroits où l’on peut sentir la fusion de ces différentes périodes, chacune ayant laissé son empreinte sur les murs de ce bâtiment.
Pour ceux qui ont connu l’Odéon ou qui ont dansé sous les lumières du Rockstore, la prochaine fois que vous passerez devant ce lieu, prenez un moment pour réfléchir à son incroyable parcours. Ce bâtiment, qui a vu passer des moines, des imprimeurs, des mécaniciens, des cinéphiles et enfin des amateurs de musique, est un véritable trésor du patrimoine de Montpellier.
Source du document : Février 1975, trois ans après la fermeture du cinéma, photo d’A. Pons