Le Pont du Gard et son doublement par Henri Pitot

Pour continuer à vous dévoiler la vie de Pitot, nous vous invitons aujourd’hui à découvrir le genie qu’il mit en œuvre à partir de 1743 dans le secteur du Pont du Gard afin d’assurer une meilleure communication entre le Gard Rhodanien et le Languedoc.

Le doublement de l’aqueduc du Pont du Gard par un pont routier est en fait un des tous premiers projets d’aménagement mené en Languedoc par l’académicien ingénieur mécanicien Henri Pitot. Il y intervint dans le cadre de ses nouvelles fonctions à la demande des Etats du Languedoc. Ces derniers souhaitaient assurer une meilleure circulation sur le grand chemin royal qui ouvrait le Bas Languedoc sur les régions du centre, du Lyonnais et dans leur prolongement Paris. Il en allait également de la vitalité commerciale de la place de Beaucaire où se tenait la plus grande foire du sud de la France.

Jusqu’à l’intervention d’Henri Pitot, le franchissement du Gardon était particulièrement délicat. Il existait bien un pont, le pont Saint Nicolas de Campagnac, en amont du Pont du Gard, mais on ne pouvait l’emprunter qu’après un important détour et encore une fois franchi, l’accès à Nîmes se faisait par une route quasiment impraticable pour les charrettes. On avait également la possibilité de passer sur un gué en aval de Remoulins, mais compte tenu du caractère imprévisible du Gardon, sa traversée était très aléatoire et de toutes façons risquée pour les marchandises et les voyageurs.

Il n’existait donc pas de réels moyens sécurisés pour franchir le Gardon si ce n’était l’ancien aqueduc romain qui ne servait plus à transporter l’eau jusqu’à la ville de Nîmes et que l’on avait petit à petit aménagé en pont routier pour permettre le passage des voyageurs. En effet, l’aqueduc connu sous le nom de Pont du Gard cessa d’alimenter la Rome française au commencement du 6ème siècle, où à la suite de la bataille de Vouillé, les Francs prirent le contrôle de la région d’Uzès, alors que les Wisigoths se maintenaient sur le territoire nîmois. Mais ce fort modeste passage n’était accessible qu’après un important détour et en aucun cas avec de lourds chargements. De plus le chemin d’accès se retrouvait fréquemment sous les eaux du fleuve tempétueux. Donc son utilisation restait très aléatoire.

Depuis la fin du Moyen Age, on avait creusé les arches du second niveau afin de permettre une circulation entre les deux rives. Ces échancrures dans les piliers s’accroissaient de siècle en siècle pour laisser passer de plus lourds chargements jusqu’à un point assez dangereux puisque ces échancrures mettaient en péril la stabilité de l’édifice. A l’extrême fin du 17ème siècle, la pérennité de l’ensemble devenait de plus en plus délicate et les Etats se résolurent à réparer ces échancrures et à leur préférer des passages sur encorbellement au niveau des piles sur les avant-becs. Ceci ne résolvait pas pour autant le problème de la circulation puisqu’aucun chargement important ne pouvait de toutes façons y passer. Seules les petites charrettes tirées par des mulets pouvaient l’emprunter

Henri Pitot étudia quatre possibilités de franchissement du Gardon. Mais rapidement, son choix se porta sur l’adossement d’un nouveau pont routier à l’antique aqueduc. Les facilités de fondation que présentait le collement de l’aqueduc et du nouveau pont poussa Pitot à préférer cette solution. En effet, l’objectif de sa mission était de produire un franchissement permanent et réalisé pour l’éternité. Les autres projets mis à l’étude auraient été trop onéreux en construction, ou techniquement impossible, ou encore trop lourds en entretien. Le nouveau pont routier devait prendre appui sur sa face est, au niveau de l’étage inférieur du Pont du Gard. Une nouvelle route devait être créée pour se raccorder à la voie principale. Certes la route était plus longue mais les coûts étaient moindres pour les Etats du Languedoc.

L’intelligence de l’académicien le poussa à ne pas lier les deux structures et à conserver une certaine forme d’indépendance à chacun des deux ouvrages, ce qui devait leur assurer une vie plus longue, puisque l’aqueduc se trouva par ce moyen déchargé des forces de traînées arrière qui lessivent les joints et sapent les fondations. Pour ce faire, il fit araser les pierres qui dépassaient de la partie basse de l’aqueduc et doubla les arches dans le sens du courant.

Pour son projet, Pitot imagina qu’il pouvait créer un pont similaire au Pont Neuf de Paris, construit au début du 17èmesiècle, avec sa richesse décorative et ses balcons semi circulaires surmontant des arrière-becs triangulaires. D’autres solutions existent. Il va alors penser à imiter le Pont Royal de Paris, achevé la toute dernière décennie avant la fin du 17ème siècle, en l’adaptant aux configurations du site. Il va déclarer à propos de sa création que les ouvrages les plus simples, en architecture, sont souvent les plus beaux, c’est pourquoi à l’imitation du Pont Royal de Paris, il ne sera fait aucun ornement à ce nouveau pont, comme bandeaux, pilastres, cadres ou tableaux. Il préconisa de même dans un souci d’intégration parfaite que toutes les pierres de tailles qui seront employées seront tirées du bois de Létoile que l’on pourrait appeler les carrières du Pont du Gard, parce qu’il est certain que toutes les pierres que les Romains ont employé à la construction de ce pont ont été tirées du bois de Létoile lesquelles n’en sont éloignée que de trois cent toises.

Ainsi il parvint à faire disparaître totalement sa création qui, de loin, semble faire partie de l’ensemble romain. Il répondait par ce moyen aux inquiétudes des amateurs d’antique, les antiquaires comme on les appelait alors. Il s’effaça devant l’importance du monument qu’il avait en face de lui. Il agit comme un réel conservateur du patrimoine soucieux de l’environnement architectural dans lequel il se devait d’agir. A ce titre, il peut apparaître comme un précurseur de nos inspecteurs du patrimoine, de nos architectes des bâtiments de France qui réfléchissent en terme d’intégration. Certains d’entre eux sont tentés par la confrontation des styles, ce qui n’est pas toujours du meilleur effet. De toutes façons, messire de Pitot, seigneur de Launay n’était pas un homme comme tous les autres. Il était un homme de l’art, ce que peu de nos architectes sont aujourd’hui.

La réalisation de ce pont ne débuta que le 18 juin 1743 après qu’il eut rédigé deux cahiers des charges, un pour le pont et l’autre pour le chemin et procédé avec les Etats à la nomination des entrepreneurs qui se chargeraient de ces travaux. Le 18 juin 1743, une plaque de cuivre gravée fut scellée sur la première pierre. Mais le Gardon se montra furieux en ces débuts de chantier. En effet, les entrepreneurs durent subir ses crues qui à deux reprises, en août et en octobre, détruisirent les chantiers, endommageant des pierres de taille. Le 20 novembre 1743, ce fut à nouveau la catastrophe puisque le Gardon sortit encore une fois de son lit, mais d’une façon très rapide et détruisit le ciment et lamina les bases de liaison entre les pierres. Les cintres du nouveau pont commencèrent à jouer et à se fissurer. Mais ceci ne fit que renforcer la volonté de Pitot qui demanda aux équipes de travail d’augmenter leur cadence et aux entrepreneurs de doubler les équipes pour maintenir les délais qu’il s’était fixé. Dès le mois de novembre 1744, les travaux étaient réalisés à plus des deux tiers. Le nouveau pont fut achevé en février 1745. Il fallut à peine 20 mois de travaux pour parachever cette œuvre et asseoir sur le trône de l’excellence languedocienne le nom d’Henri Pitot.

Cet ouvrage d’art servit pendant près de deux siècles à la circulation d’abord tractée par des chevaux, puis à la circulation automobile. Les progrès technologiques et notamment la création de l’A9 eurent raison de son utilisation. En 1994, on envisagea même de procéder à sa destruction. Pourtant aujourd’hui, il est l’heureux témoignage d’un homme de l’art d’exception du nom d’Henri Pitot et permet aux troupeaux de touristes, aux amateurs d’antiques d’être au plus près du chef d’œuvre romain, d’admirer ses usures du temps, sans rien dépareiller à la beauté du site.

Comme vous pouvez vous en douter, amis montpelliérains, le prochain volet traitera de notre célèbre aqueduc de Saint-Clément qui, s’inspire grandement de son antique aïeul gardois…

Après des études en science politique et en géographie et histoire de l'urbanisme, Fabrice Bertrand, né à Montpellier, anime depuis 2016 le groupe Facebook "Montpellier Histoire et Patrimoine" qui compte près de 30.000 membres. Il est aujourd'hui en charge de plusieurs projets, qui visent à mettre en valeur le patrimoine scientifique et intellectuel montpelliérain.

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