Alors, permettez-moi ce matin, pour continuer cette petite série sur le droit à Montpellier, de vous inviter au Palais de Justice de Montpellier, avec ce procès qui eut lieu à la fin du 19ème siècle ; un procès assez cocasse, vous en conviendrez ; de ceux que la presse aime à retranscrire dans ses colonnes… et qui oppose un mari à son épouse pour coups et blessures.
Mme Girard, qui se serait montrée violente envers son époux est invitée à se présenter à la barre.
Mme Girard une toute petite femme, assez grêle, mais qui aime par dessus tout l’indépendance et qui considère qu’un “mari est parfois chose chose gênante à la maison“. D’ailleurs elle n’a pas hésité à mettre le sien à la porte.
Devant le juge, ayant retenu les leçons professées par Louise Michel, lors de ses interventions montpelliéraines, elle précise que “l’homme, de par sa nature, est un être égoïste et mal-appris qui a besoin de correction” et que si elle en administre si souvent à son époux, c’est qu’il le mérite bien; Il n’a pas à la commander”… et elle rajoute : “que si la police n’intervenait pas si souvent pour les arrêter, elle lui en infligerait bien plus souvent des raclées”.
Le juge parvient enfin à ce que Mme Girard cesse son déversement de haine à l’égard du pauvre agressé et demande à ce dernier de s’avancer dans l’enceinte du tribunal.
M. Girard est un “homme grand, fort, taillé en Hercule“. Lorsqu’il parvient à la barre, il “fait un profond salut au tribunal, au procureur du roi, puis lève la main pour jurer“. Mais le président lui rappelle qu’il ne lui est pas nécessaire de jurer car il s’est constitué partie civile et qu’il est entendu qu’à titre de simples renseignements.
Alors M. Girard, qui, d’habitude redoute de prendre la parole devant son épouse, commence sa présentation et précise immédiatement que sa “femme n’est pas aussi bonne qu’elle en a l’air et qu’elle lui a volé des draps et même 15 francs…” Et il a bien l’intention de s’en expliquer.
Mais le juge, qui commence à trouver le temps long, lui demande de glisser sur ces détails et de ne parler que des coups.
M. Girard tient toutefois à préciser que lui et sa femme font chambre et appartement à part… “que c’est l’idée de sa femme... Passons, c’est son idée, pas la mienne“.
Mme Girard maugrée dans son coin, le public féminin venu en nombre aussi. Et M. Girard de rajouter : “Nous nous sommes séparés pour mieux nous entendre, car elle m’aime ma femme… de loin.” Le public est saisi d’un grand rire, c’est sûr qu’elle l’aime sa femme : “Qui aime bien, châtie bien”, c’est bien connu.
“Décidément, on y arrivera pas à l’objet de la plainte“. Le juge est à nouveau obligé de rappeler qu’il lui faut des faits…
Mais M. Girard, peu habitué à être écouté rajoute : “Oui, M. le président; de près ce n’est plus la même femme, elle est terrible, elle m’empoisonnerait, c’est sûr : aujourd’hui surtout que ça devient si commun.“
Décidément, on ne va pas y arriver, glisse à nouveau le juge à voix basse. Il renvoie le mari sur le banc par cette phrase : “Bon Monsieur Girard, allez vous asseoir, nous allons entendre maintenant le témoin“.
Le propriétaire de la maison où logent les deux époux dans les deux appartements différents se présente à la barre. Il explique que le mari et la femme habitent la même maison, mais à deux étages différents. Le jour de la chose, dit le témoin, “M. Girard brave homme, bon locataire, payant bien son loyer, vint voir Mme Girard qui habite au-dessus et qui est une bien charmante femme, bonne locataire aussi”. Il informe également que M. Girard a lancé en colère à son épouse : “Ah ça, ma chère, tu m’as volé trois paires de draps, et tu m’as fourré ceux-là à la place; tiens, les voilà tes draps! et à ces mots il les lui précipite à la tête. Madame, vexée du procédé, ramasse un petit gravier qui se trouvait là“.
“Enfin on en arrive aux faits“, dit le juge qui rajoute, étonné par la formulation : “Comment, un petit gravier?“
Et le témoin de renchérir : “Oui, là, un petit caillou, un pavé, quoi ! Je les séparai ; j’avais peur pour mes meubles. Je suis aussi le propriétaire du mobilier. Je leur manifestai mon désir sincère de les voir battre dans la rue. Ils persistèrent néanmoins et le caillou fut lancé. Heureusement il ne l’atteignit pas.”
” Mais n’atteignit pas qui? Le Mari? ” dit le juge.
“Mais non, mon mobilier” rajouta le propriétaire… “c’est que j’y tiens à mes meubles” et voilà qu’il commence à raconter que ses meubles lui provenaient d’une succession d’une grand-tante qui les avait achetés à grands frais dans un magasin bien connu de la rue de la Grand-rue.
On n’ose imaginer ce qui se passait dans la tête du juge, qui dût alors rappeler qu’il fallait parler des faits et demanda au bavard si le “caillou, pardon le pavé, avait atteint le mari“.
– “Oh! pour ça oui. J’en ai été tout remué ,un peu plus mes meubles étaient brisés.” Tout le public partir en éclat de rires… On peut le comprendre.
“Bon aller vous rasseoir“.
– “Mme Girard, à la barre“, tonna, excédé le juge “Avez-vous , oui ou non, battu votre mari ?“
– “Je l’ai d’abord corrigé avec ménagement, ça n’y a rien fait; je l’ai recorrigé, ça n’y a pas fait davantage, alors..“
Le juge, qui perdait patience, reformula la question : “Au jour fixé dans la plainte, lui avez-vous lancé un pavé à la tête?“, ce à quoi répondit l’accusée : “Un monstre, monsieur le président, qui n’a pas craint de faire mettre en prison sa propre légitime. Il a voulu me frapper; ma foi, j’ai lancé le gravier.“
– “Vous voulez dire le gravier… pardon le caillou, enfin le pavé“, lança dans un espoir de victoire le juge, “Vous m’embrouillez avec toutes vos explications“.
– “Oui“, enfin le juge respirait, il avait sa réponse… Mais Mme Girard ne pouvait se taire. Elle rajouta : “Après ça, voilà quinze jours que je suis en prison et sept ans que je suis mariée. C’est quinze jours de paradis après sept ans de galère.“
Vous pouvez imaginer les rires prolongés qui saisirent alors la salle. Des applaudissements se firent même entendre.
Le juge, demeurant impassible, condamna la dame Girard à six autres jours de paradis… Elle le méritait bien, elle était un danger pour son mari, mais certainement plus encore, par son désir d’indépendance, pour la société, qui avait peur d’être ébranlée par les souhaits d’émancipation des premières féministes.
Au sortir de l’audience, le mari fut assailli par une douzaine de commères qui, prenant la défense de leur sexe opprimé dans la personne de madame Girard, firent, par des injures, expier à l’époux la satisfaction de sa petite vengeance correctionnelle.
M. Girard fut alors obligé de se réfugier dans l’escalier du greffe, ou madame Girard, qui passant devant lui, accompagnée par ses gardiens, vint le soustraire aux imprécations de ses consoeurs en disant d’un air protecteur : “Assez, assez, Mesdames, je le livre à ses remords.”
Sur ces mots, je vous dis à demain pour une autre histoire liée à l’histoire du droit à Montpellier… Bonne journée.