À l’approche de Noël, lorsque les rues se parent de lumières scintillantes et les marchés de Noël, du parfum si agréable des vins chauds, épices et chocolat, il est difficile pour le gourmand que je suis de ne pas vous rappeler l’histoire d’une maison montpelliéraine de chocolat artisanal, la célèbre chocolaterie Matte.

Source : Interencheres, vente du 8 avril 2021,
étude Mirabaud et Mercier, à Paris
Du parfum enivrant des fèves de cacao à l’effervescence publicitaire portée par un slogan inoubliable, les chocolats Matte occupent encore aujourd’hui une place de choix dans la légende locale. En effet, pendant cent quarante ans, de 1820 à 1960, les effluves qui s’extrayaient des hautes cheminées de cette usine si célèbre ont bercé la mémoire de Montpellier, et plus encore celle des habitants du quartier des Arceaux.

Source : F. Bertrand
Alors laissez-moi vous conduire à la découverte de cette fabrique, réputée autrefois pour ses bonbons au coquelicot et sa mystérieuse « pâte d’escargot », qui est parvenue à imprégner durablement l’âme de la cité montpelliéraine.
Aux origines de la chocolaterie Matte : un héritage familial

L’histoire de la chocolaterie Matte remonte à 1820, lorsqu’un certain Pascal-Jacques Matte, héritier d’une famille qui s’était illustrée dans l’art de la parfumerie, décide de fonder son atelier dans la rue Saint-Louis. Située entre les Arceaux et l’actuel Cours Gambetta, cette artère passante voit naître chaque jour quelque 700 kilos de chocolat artisanal. À cette époque, la production n’est certes pas encore colossale, mais elle suffit à attiser la curiosité des premiers gourmets de Montpellier.

Source : Collection Fabrice Bertrand
Très vite, la réputation de cet atelier dépasse le simple cadre du quartier. Pour parfaire le succès rencontré, un magasin de détail est ouvert dans la rue Saint-Guilhem, au n°39. Les plus fortunés y succombent aux tablettes de chocolat et autres bouchées plus sophistiquées, faisant déjà des chocolats Matte les alliés des instants gourmands et conviviaux, si nombreux en ce début du XXème siècle.
En fait, il y en a pour toutes les bourses, de la plus fournie à la plus légère. Il était possible dans cette boutique d’acquérir certes les luxueux bonbons de chocolats, mais aussi du café qui était torréfié rue Saint-Louis et surtout les célèbres pâtes d’escargot que le montpelliérain Louis Figuier avait mis au point pour combattre la toux. Les moins fortunés pouvaient y acquérir le café de ceces, c’est-à-dire de pois-chiches grillés, qui constituait un habile remplaçant au véritable café. Mais pour tous, il fallait que les produits soient estampillés Matte, c’était un gage de qualité.
Il faut dire que les prix aux diverses expositions tant régionales que nationales se succèdent. Pendant l’année 1885, lors de l’exposition régionale de Montpellier ses productions sont classées “hors concours”, tellement elles sont exceptionnelles. Ils n’avaient pour seuls concurrents que Fouques, un entrepreneur sur lequel nous reviendrons prochainement, et par la suite le célèbre Dezeuze.
En même temps, les propriétaires de la maison Matte ont recours à d’importantes stratégies publicitaires, n’hésitant pas à placer sur tous les supports possibles, tant à Montpellier, que dans les autres villes, sur les marchés, tramways, colonnes et autres, leur nom et leur slogan, qui deviendra quasi une chanson répétée dans toutes les cours d’école.
“De Paris au Japon, du Japon jusqu’à Lattes, le meilleur chocolat, c’est le chocolat Matte”
C’est sous l’égide de Louis Matte, le fils du fondateur, que l’entreprise familiale connaît un véritable essor. De l’atelier initial, on passe désormais à une usine d’envergure où la production quotidienne se compte en tonnes. Au fil des années, la chocolaterie Matte se dote d’outils de communication pionniers pour l’époque, n’hésitant pas à placarder dans chaque recoin de Montpellier ses célèbres affiches « Chocolat Matte La Faveur ». C’est l’ère de la réclame et des slogans particulièrement marquants. Ils annoncent un changement d’époque.

Source : Collection Fabrice Bertrand
Le succès retentissant de l’entreprise repose aussi sur un slogan devenu mythique : « De Paris au Japon, du Japon jusqu’à Lattes, le meilleur chocolat, c’est le chocolat Matte ». Cette ritournelle, souvent reprise à l’unisson dans les rues montpelliéraines, ancre profondément la marque dans l’esprit collectif.
Les cartes postales, quant à elles, immortalisent la haute cheminée de l’usine, d’où s’échappait un nuage de fumée gourmande de la chocolaterie Matte.

Louis Matte, le chocolatier et l’homme public
Si la réputation de la chocolaterie tient à la qualité de son chocolat et à son habile promotion, elle repose également sur la personnalité charismatique de Louis Matte, né en 1838 à Montpellier et qui succède à son père en 1878. Sous son égide, les produits de son entreprise reçoivent de très nombreux prix dans les expositions universelles, en France, comme à l’étranger. Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille, Moscou, Chicago et Hanoï lui décernent des prix d’honneur. C’est la célébration d’un savoir-faire familial qui puise ses origines dans cette longue tradition montpelliéraine de pâtes pharmaceutiques.

Source : Dictionnaire des personnalités du département de l’Hérault, 1907 – Cliché F. Bertrand

Source : Archives Départementales de l’Hérault, 5MI1/77
Homme d’affaires avisé, Louis Matte participe également activement à la vie municipale. Il est conseiller municipal, adjoint au maire, membre du conseil d’administration de la Caisse d’Épargne de Montpellier et de la Chambre de Commerce.
Amoureux de sport et de traditions, il soutient sans relâche le SOM, l’équipe de football de Montpellier, et se passionne pour le jeu de mail, devenant même président de l’ordre des « chevaliers du noble jeu du Bois Roulant ». Mais ce brillant industriel mourut en 1907, et son entreprise fut reprise par son fils.
L’usine, désormais sous la direction de Jacques Étienne Matte, devra néanmoins composer avec les aléas des guerres, troquant parfois les précieuses fèves de cacao pour de simples pois chiches ou de la chicorée, solutions de remplacement en période de pénurie. Malgré ces épreuves, la créativité et l’enthousiasme de la chocolaterie restent intacts, offrant aux Montpelliérains des friandises originales comme les bonbons au coquelicot ou les fameux chocolats farcis de « pâte d’escargot ».
La fin d’une épopée et la naissance d’une légende
L’épopée de la chocolaterie Matte s’achève en 1960, lorsqu’un incendie met fin à plus d’un siècle de délices et de traditions gourmandes. Pourtant, son héritage persiste dans les mémoires et dans les récits que se transmettent les anciens Montpelliérains.
Demeure aussi son incomparable slogan, gravé dans le patrimoine culturel local : « De Paris au Japon, du Japon jusqu’à Lattes, le meilleur chocolat, c’est le chocolat Matte ». À l’heure où les festivités de Noël illuminent le cœur de Montpellier, il était bon de se souvenir de cette fabrique légendaire.
Je vous souhaite de belles dégustations de chocolat pour cette période de Noël et en attendant, comme vous avez été sages, voici quelques images de ma collection personnelle qui étaient glissées à l’intérieur de l’emballage des tablettes de chocolat Matte.





Pour aller plus loin, bibliographie et liens :
Birouste Georgette, 1992 .- “Des senteurs médiévales au chocolat Matte” in Mémoire d’Oc, cahiers UTT, n°20, 50 pages.
Article “Matte (Louis)” in dictionnaire biographique du département de l’Hérault .- Edition Flammarion, 1907