Jean-Baptiste Favre, né le 28 mars 1727 à Sommières et mort le 6 janvier 1783 à Montpellier, fut une figure majeure de la littérature occitane du XVIIIe siècle.

© Musée du Vieux Montpellier – inv. 2012.1.44
Issu d’une famille modeste de Sommières, il débute ses études chez les Jésuites à Montpellier et les prolonge au Séminaire de Nîmes, avant d’être ordonné prêtre en 1752.
L’année suivante, il est désigné pour occuper les fonctions de vicaire de la paroisse d’Aubais. Sa carrière ecclésiastique le mene ensuite à Saint-Martin-de-Londres, Vic-la-Gardiole, puis à Castelnau-le-Lez où il officie comme vicaire de 1755 à 1757. Durant cette période, il commence à composer ses premiers textes en langue d’oc, notamment son texte le plus célèbre l’Histoîra dé Jean l’an prés, qui fut depuis maintes fois réédité, et la célèbre légende du Tresor de Substancion.
Après avoir soutenu une thèse de philosophie, il entre, en 1762, en tant que professeur de rhétorique au collège royal de Montpellier. Mais sa présence au sein de ce collège ne fut pas de tout repos. Débute pour lui une nouvelle errance qui le conduit de la chaire à prêcher du Crès, à celle de Saint-Michel-de-Montels et enfin, à partir de 1773, à celle de Cournonterral. Dans cette dernière paroisse, il rédige Le siège de Caderousse. Il achève cette mobilité en 1780 lorsqu’il est fait prieur-curé du prieuré de Celleneuve. Dans cette dernière église où il a été inhumé en mars 1783, il mène une vie loin de l’agitation montpelliéraine et rédige quelques poèmes.
Son style unique mêlait humour populaire et observation fine des mœurs de son temps. Il était un des premiers à s’intéresser aux modes de vie de ses contemporains, livrant ainsi une vraie ethnographie des campagnes languedociennes, le tout avec légéreté rappelant l’esprit de Rabelais.
L’oeuvre occitane d’un curé
Jean L’an près
Un roman occitano-français antérieur à Jacques le Fataliste
Dans le riche panorama de la littérature française du XVIIIe siècle, Jean L’an près (ou Joan-l’an-pres en occitan) se distingue comme une œuvre remarquable de Jean-Baptiste Favre. Rédigé initialement en 1765, puis enrichi d’une seconde version quelques années plus tard, ce roman picaresque présente la particularité notable de précéder chronologiquement Jacques le Fataliste de Denis Diderot. Ces deux œuvres partagent une construction narrative similaire, articulée autour d’un récit-cadre et d’une mise en abyme subtile, où les destins des protagonistes s’entremêlent avec une réflexion sociale et morale profonde.
Une architecture narrative raffinée
L’œuvre s’ouvre sur une scène emblématique : la rencontre fortuite entre un seigneur de la Vaunage et un paysan dont la voix s’élève dans la campagne, entonnant gaiement « La bonne aventure, ô gué ! la bonne aventure ! ». Cette rencontre providentielle donne naissance à un dialogue où le mystérieux personnage, se présentant sous le nom de « Joan-l’an-pres », entreprend de narrer le récit de son existence.
La structure narrative de l’œuvre se déploie avec une grande finesse, alternant entre la voix du baron, narrateur omniscient s’exprimant dans un registre occitano-français classique, et celle de Joan, dont le récit direct se teinte d’une ironie mordante et d’une autodérision savoureuse. Ainsi se dessine progressivement le portrait d’un personnage complexe, à la fois acteur et commentateur de sa propre histoire.
Une fresque familiale haute en couleur
Le récit s’enracine dans l’histoire des parents de Joan, tableau saisissant des mœurs provinciales du XVIIIe siècle. Truqueta, père du protagoniste, incarne la figure du séducteur sans scrupules qui, par ses artifices, conquiert le cœur de la jeune Margòt de Soulorgues. Leurs noces, décrites dans un style burlesque caractéristique, dégénèrent en une célébration gargantuesque qui les précipite dans un gouffre d’endettement, poussant l’époux aux expédients les plus déshonorants.
Les tensions qui émergent au sein du couple révèlent les fractures sociales de l’époque, notamment à travers la xénophobie manifeste de Margòt envers les « Gavots », ces habitants des hautes terres dont est issu Truqueta. Cette discorde conjugale embrase bientôt toute la communauté villageoise, culminant dans une scène d’une absurdité magistrale lors de l’intervention de la grand-mère de Joan.
L’origine d’un patronyme singulier
Le surnom de notre protagoniste trouve son origine dans les tribulations paternelles : Truqueta, cédant à l’appât du gain, s’engage dans diverses entreprises frauduleuses qui le conduisent inexorablement vers la prison ou la fuite. C’est de la réponse invariable de l’enfant aux questions sur son père — « L’an près » (ils l’ont pris) — que naît ce sobriquet évocateur. Privé de figure paternelle, Joan grandit sous l’influence prépondérante de sa grand-mère, dont la morale équivoque façonnera durablement sa vision du monde.
Une éducation singulière
Sous la tutelle de sa grand-mère, véritable théoricienne d’un proto-capitalisme rural, Joan s’initie aux arcanes de la survie sociale. Cette formation peu orthodoxe, fondée sur la ruse et l’opportunisme, forge le caractère du jeune homme. La découverte d’un modeste trésor à la mort de son aïeule marque un tournant décisif, lui enseignant l’art subtil de la dissimulation tout en nourrissant ses ambitions d’ascension sociale.
Une ascension sociale mouvementée
Le parcours de Joan illustre les méandres de l’ambition sociale dans la France d’Ancien Régime. Son engagement comme garde-vigne auprès de M. Sestièr, sa relation avec Babèu, et l’intrigue complexe impliquant Garolha constituent autant d’épisodes d’un roman d’apprentissage singulier. Le dénouement de cette histoire, marqué par la mort tragique de Garolha et de son enfant, permet à Joan d’accéder à une position sociale enviable, couronnée par son union avec Babèu.
Une œuvre au miroir de son temps
Ce roman se révèle être une satire sociale d’une remarquable acuité, dépeignant avec virtuosité les travers d’une société rurale où l’opportunisme le dispute à la cupidité. L’utilisation magistrale de l’occitan et du français teinté d’occitanismes confère au texte une authenticité saisissante, soulignant le contraste entre l’apparente simplicité paysanne et la complexité des relations sociales.
L’œuvre atteint son apogée ironique dans sa conclusion, où le baron, après avoir écouté le récit de Joan, livre une pseudo-leçon de morale qui révèle toute l’ambiguïté de la société d’Ancien Régime, où les apparences de rusticité dissimulent souvent les machinations les plus sophistiquées.
Le Trésor de Substantion
Dans son œuvre intitulée Le Trésor de Substantion, J.-B. Fabre évoque un ancien récit lié à Castelnau-le-Lez. On raconte qu’une nuit par an, précisément à minuit lors de la Saint-Jean, le rocher de Substantion qui surplombe la rivière s’entrouvrirait pour livrer son fabuleux magot. Les audacieux auraient alors une heure pour s’emparer des richesses dissimulées à l’intérieur.
Dans cette histoire, Maître Nicòu adhère sans réserve à cette croyance, tandis que Maître Pascau s’en moque ouvertement. Nicòu, père de la jeune Joaneton, refuse de la marier à Cadet, le fils de Pascau, qu’il juge trop pauvre. Il lui préfère plutôt Tòni, le fils simple d’esprit de Dame Rancurelle.
Le fameux soir venu, Nicòu et Pascau mettent en jeu tout leur avoir pour défendre leur opinion. Au fil de la pièce, on les voit attendre l’instant précis où la roche se fendrait, laissant à deviner l’issue finale : Nicòu perd l’intégralité de ses biens, puis les récupère seulement en renonçant à ses préjugés et en acceptant de donner la main de Joaneton à Cadet. Au bout du compte, le message se veut résolument tourné vers la raison, rejetant toute superstition.
Bonne journée à tous… et à demain, car, demain, dans un nouvel article, j’aborderai les hommages qui lui ont été rendus par le monde intellectuel montpelliérain en 1884 et qui ont conduit à la création d’un buste de cet auguste curé, qui connut durant près de 80 ans une nouvelle errance.
Bibliographie et liens :
Bertrand-Fabre Danielle .- “L’écrivain Jean-Baptiste Fabre et son portrait par le peintre montpelliérain Jean Coustou” in Etudes sur l’Hérault
Pic François .- « Essai de bibliographie de l’œuvre imprimée de l’abbé Jean Baptiste Castor Fabre », in Revue des Langues Romanes, 1987, pp. 251-299