Exécutions de protestants à Montpellier en 1554

Installé à Montpellier pour suivre son apprentissage en médecine et en apothicairerie auprès de Me Laurent Cathalan, Félix Platter, le célèbre étudiant bâlois, qui a raconté les détails de son séjour dans notre ville, relate, dans cet extrait, deux des plus tristes épisodes auxquels il a assisté dans notre ville et qui le touchent tout personnellement, lui, l’hérétique.

Depuis la fin du 1er quart du 16ème siècle, la population de Montpellier est de plus en plus acquise à la réforme protestante. Montpellier, par l’importance de son commerce et de son université, qui drainent quotidiennement de nouveaux apports, tant en hommes qu’en idées, est une terre où le protestantisme trouve un terreau très fertile.

Ce sont dans un premier temps les classes moyennes, permettez-moi d’utiliser cette expression un peu anachronique, qui sont séduites ; Bourgeois, marchands, commerçants aisés et artisans lettrés sont acquis à cette nouvelle religion que les Parlements (celui de Toulouse en tête) tentent de maintenir dans la clandestinité et n’hésitent pas à réprimer à l’aide d’exécutions visant à terrifier les réformés.

La première exécution dont Félix Platter nous raconte le déroulement est celle de Guillaume Dalençon, un ancien prêtre qui avait quitté l’église de Rome pour la Réforme. Ce curé, originaire de Montauban, à qui on avait retiré le 16 octobre 1553, la chasuble, rasé la tonsure et coupé deux doigts de la main, pour signifier sa dégradation de son état religieux, était devenu un des principaux propagateurs du protestantisme dans le sud de la France en distribuant des livres qu’il faisait venir de Genève. Il était d’ailleurs qualifié dans les pièces de ses procès en tant que “libraire de Genève”.

Alors, après ces quelques indications qui vous ont permis de mieux saisir le contexte de ces exécutions, laissons Félix Platter nous raconter un de ces sinistres épisodes de notre histoire :

“L’an 1554, le 6 janvier, Guillaume Dalençon, dégradé onze semaines auparavant, et retenu depuis ce temps en prison, fut condamné à mort. Après-midi, un homme le porta sur ses épaules hors de la ville, auprès d’un couvent, à l’endroit habituel de ces exécutions. Un bûcher y était dressé.

Derrière le condamné, marchaient deux autres prisonniers : un tondeur de draps, en chemise, avec une botte de paille attachée sur le dos ; et un autre de fort bonne mine et bien vêtu. Tous deux, dans leur effarement, avaient la faiblesse de renier la vraie foi.

Dalençon, au contraire, ne cessait de chanter des psaumes pendant tout le parcours. Arrivé au pied du bucher, il s’assit sur le bois, ôta lui-même ses vêtements jusqu’à la chemise, et les rangea avec autant d’ordre que s’il eût dû les remettre.

Il adressa des exhortations si touchantes aux deux autres qui allaient apostasier.

Lorsque les chanoines, rangés en cercle autour de lui et montés sur des chevaux ou des mulets, l’avertirent qu’il était temps d’en finir, il s’élança joyeusement sur le bûcher et s’assit au pied du poteau qui s’élevait au milieu, et qui était percé d’un trou par où passait une corde terminée supérieurement par un noeud coulant.

Le bourreau lui passa la corde au cou, lui attacha les mains sur la poitrine, et plaça près de lui les livres de religion qu’il avait apportés de Genève ; après quoi, il mit le feu au bûcher.

Le martyr se tenait assis, calme et résigné, les yeux levés vers le ciel. Quand le feu atteignit les livres, le bourreau tira la corde et l’étrangla ; sa tête s’inclina sur sa poitrine, et il ne fit plus aucun mouvement ; le corps se réduisit peu à peu en cendres. Ses deux compagnons, debout au pied du bûcher, furent obligés d’assister à son supplice, et sentirent la flamme de très près.

L’exécution terminée, on les ramena l’un et l’autre à l’hôtel de ville. Tout près de là, devant l’église Notre-Dame, était dressée une estrade, surmontée d’une statue de la Vierge, devant laquelle ils devaient faire amende honorable. La foule attendit longtemps. A la fin, on n’amena qu’un des deux ; car le tondeur de draps refusait d’abjurer et demandait à être supplicié sans miséricorde, pour avoir faibli. On le ramena donc en prison.

Quant à l’autre, qui paraissait être un homme de condition, on le plaça sur l’estrade, à genoux devant la statue de la Vierge, avec un cierge allumé à la main. Un notaire lui lut diverses déclarations, auxquelles il était obligé de répondre. Il eut ainsi la vie sauve, mais fut envoyé aux galères pour y être mis aux fers.

Le mardi suivant, 9 janvier, on revint au tondeur de draps, qui fut étranglé et brûlé comme le prêtre. Il montra une grande fermeté et non moins de repentir pour avoir failli renier sa foi. Il pleuvait ce jour-là, et le feu ne voulait pas prendre. Le patient qui n’était pas tout-à-fait étranglé, endurait de grandes souffrances. Alors les moines du couvent voisin apportèrent de la paille ; le bourreau la prit et fit chercher de l’huile de térébenthine à la pharmacie et mon maître pour activer le feu. Je le reprochai aux domestiques qui l’avaient donnée ; mais ils me conseillèrent de me taire, parce qu’il pourrait m’en arriver autant, en ma qualité d’hérétique.”

Après des études en science politique et en géographie et histoire de l'urbanisme, Fabrice Bertrand, né à Montpellier, anime depuis 2016 le groupe Facebook "Montpellier Histoire et Patrimoine" qui compte près de 30.000 membres. Il est aujourd'hui en charge de plusieurs projets, qui visent à mettre en valeur le patrimoine scientifique et intellectuel montpelliérain.

Laissez le premier commentaire

Review Your Cart
0
Add Coupon Code
Subtotal
Total Installment Payments
Bundle Discount