Agnes McLaren, la première docteure en médecine de Montpellier

Agnes McLaren fait partie de ces femmes d’exception qui ont su, à une époque profondément marquée par le poids de la tradition, briser le plafond de verre qui empêchait les femmes d’accéder à l’enseignement supérieur en médecine. Elle est, en effet, la toute première, en 1875, à s’imposer sur les bancs de la Faculté de médecine de Montpellier, obtenant trois ans plus tard, en 1878, le prestigieux titre de docteure en médecine. Son parcours exemplaire marque un tournant dans l’histoire des femmes en médecine, ouvrant la voie à de nombreuses autres qui suivront ses pas.

L’université française, un monde de traditions et de résistances

En cette seconde moitié du XIXe siècle, quelques années avant qu’Agnes McLaren ne débarque en France, l’idée même que des femmes puissent prétendre égaler leurs homologues masculins dans les amphithéâtres des universités était considérée comme une pure chimère. L’université française, attachée à des coutumes ancestrales, voyait d’un œil circonspect toute tentative féminine de se hisser jusqu’aux savoirs savants. Qu’une femme puisse devenir docteure en médecine était tout simplement impensable, tant la société, dans son ensemble, cantonnait encore la destinée féminine au foyer, à l’éducation des enfants et à la sphère domestique.

Sur le plan strictement légal, aucun texte n’interdisait l’entrée des femmes à l’université, y compris à la faculté de médecine de Montpellier. Toutefois, jusqu’alors, on ne les avait presque tolérées que comme spectatrices lors des dissections anatomiques, un spectacle à la fois fascinant et macabre, consenti à quelques privilégiées de la bonne société. Si quelques illustrations anciennes en témoignent, la réalité demeure qu’avant les années 1870, la présence féminine sur les bancs de la faculté restait purement théorique.

Dans ce contexte, la société ne se privait pas de manifester son scepticisme, parfois teinté d’un humour moqueur, imaginant ces futures docteures en médecine, le ventre arrondi par la grossesse, penchées sur des tables de consultation.

Ces railleries, cependant, n’étaient que le reflet bénin des résistances plus profondes et acerbes que devaient affronter les femmes en médecine. Quolibets, sarcasmes, attaques virulentes : toutes ces manifestations de mépris, émanant tant de la communauté universitaire que de la société, illustraient la réticence générale à leur intrusion dans un domaine considéré comme strictement masculin. Malgré ces obstacles, certaines femmes déterminées poursuivirent leurs objectifs, ouvrant progressivement des brèches dans l’édifice des préjugés.

Madeleine Brès, une figure précurseuse

Avant l’arrivée d’Agnes McLaren, d’autres femmes avaient déjà tenté de s’engager sur cette voie si étroite. Parmi elles, Madeleine Brès, originaire de Bouillargues, près de Nîmes, se démarque particulièrement. En 1866, cette jeune femme de 24 ans ose frapper à la porte du doyen de la faculté de médecine de Paris, Charles Adolphe Wurtz. Conscient que ce moment finirait par advenir, le doyen sait déjà que d’autres universités européennes, comme celle de Zurich, ont admis des étudiantes. Il encourage donc Mme Brès à passer ses baccalauréats, puis promet de soutenir sa requête auprès du ministère de l’Instruction publique.

Madeleine Bres la pionniere
Madeline Brès (1849-1821)
(source : Wikipedia)

Deux ans plus tard, en 1868, grâce à l’influence conjuguée des précurseurs et à un rapport favorable d’un émissaire envoyé en Suisse, la voie s’ouvre pour Madeleine Brès, qui s’inscrit à la faculté de médecine de Paris. Lorsque celle-ci revient munie de ses baccalauréats, Mary Putnam, Catherine Gontcharoff et Elizabeth Garrett l’ont devancée, mais au terme d’un long parcours semé d’embûches, Mme Brès devient, en 1875, la première femme française à décrocher le titre de docteure en médecine.

Entre 1866 et 1887, les inscriptions féminines connaissent une réelle progression, particulièrement chez les étudiantes anglo-saxonnes et slaves. Les Françaises restent minoritaires, mais leur présence s’affirme peu à peu. En 1884, on compte une centaine de femmes inscrites, et en 1887, sur 114 étudiantes, 12 seulement sont françaises. Cette internationalisation du corps étudiant illustre une révolution silencieuse dans l’histoire de la médecine, préfigurant le rôle croissant des femmes dans une discipline jusque-là fermée.

Agnes McLaren, une audacieuse venue d’Écosse

C’est donc dans ce contexte d’évolution lente, mais irréversible, qu’apparaît Agnes McLaren. Lorsqu’en 1875, à l’âge de trente-huit ans, elle arrive à Montpellier, elle sait exactement ce qu’elle veut : imiter Madeleine Brès, s’inscrire à la Faculté de médecine de Montpellier et obtenir le prestigieux grade de docteure. La ville languedocienne, forte de ses 55 000 habitants, de sa riche tradition viticole et de ses éminents professeurs, lui semble l’endroit idéal pour concrétiser ses ambitions. Elle veut non seulement devenir médecin, mais également ouvrir une voie nouvelle à toutes les femmes qui, comme elle, aspirent à briser les plafonds de verre dans l’université française.

Agnes McLaren
Agnes McLaren
(source Wikipedia)

Le destin d’Agnes McLaren aurait pu être tout autre, limité au rôle traditionnel de l’épouse et de la mère au sein de la haute bourgeoisie écossaise à laquelle elle appartient. Mais elle a grandi dans une famille convaincue que la place de chacun dans la société devait se bâtir par la volonté et l’instruction. Son père, Duncan McLaren, homme d’affaires respecté et Lord-prévôt d’Édimbourg de 1851 à 1864, s’est élevé de conditions modestes jusqu’à devenir un notable. Profondément attaché à l’éducation, il a fondé à Édimbourg treize écoles gratuites et soutenu l’ouverture de l’université aux femmes.

Orpheline de mère à trois ans, la jeune Agnes s’engage très tôt dans le mouvement pour la libération des femmes. Aux côtés de sa belle-mère, Priscilla Bright McLaren, elle soutient activement la cause féministe, signant la pétition de 1866 pour le droit de vote des femmes et devenant secrétaire de la Société nationale d’Édimbourg pour le suffrage féminin. À partir de 1873, elle organise de nombreuses conférences sur cette question. Lorsque l’université d’Édimbourg lui ferme ses portes, elle décide de se tourner vers la France, et en particulier Montpellier, pour réaliser son rêve d’études médicales.

L’accueil d’Agnes MacLaren à la faculté

À Montpellier, Agnes McLaren sollicite une audience auprès de l’évêque, le futur cardinal Anatole Rovérié de Cabrières. Séduit par la détermination de la postulante, celui-ci l’adresse aux sœurs franciscaines de la ville afin qu’elles l’accueillent. Il recommande également son cas au doyen Combal, qui, après avoir rencontré cette candidate hors norme, accepte de l’inscrire sur le registre des étudiants. Il ne reste plus à Agnes qu’à maîtriser rapidement le français, ce qu’elle fait avec l’aide de certains de ses collègues, intrigués et souvent admiratifs devant cette « Miss Médecine » venue d’Écosse.

En 1878, après trois années d’études intensives, elle soutient sa thèse, rédigée en anglais, sur le thème des « Flexions of the Uterus ». Cette soutenance couronnée de succès la consacre première femme diplômée de la faculté de Montpellier, et dixième femme britannique à obtenir un diplôme de médecine.

Les professeurs Combal et Grasset la félicitent et lui proposent de poursuivre ses travaux à leurs côtés, mais Agnes McLaren décide de retourner en Écosse afin de faire avancer la cause féminine dans sa ville natale. Elle y dirige un dispensaire pour les pauvres, mais le climat ne lui convient plus et elle revient un temps à Montpellier pour travailler avec ses maîtres avant de s’installer à Cannes, où elle ouvre un cabinet médical qui rencontre un franc succès.

L’expérience en Inde et la fondation de l’hôpital Sainte-Catherine

L’engagement d’Agnes McLaren ne s’arrête pas aux frontières de l’Europe. Découvrant l’Inde, elle prend conscience des conditions dramatiques qui entourent la santé des femmes sur place. Les traditions religieuses hindouistes empêchent souvent les femmes d’être examinées par des médecins hommes. Face à cette réalité, Agnes comprend qu’il lui faut des femmes docteures pour sauver des patientes destinées à périr en couches, faute de soins.

Avec l’aide d’une mission catholique, elle fonde l’hôpital Sainte-Catherine à Rawalpindi, dans le nord de l’Inde. Là, elle recrute des religieuses formées à la pratique chirurgicale et obstétricale, offrant enfin un accès aux soins adapté aux patientes locales.

Montpellier Agnes McLaren Acte de deces 1913 Antibes
Acte de décès d’Agnès Mc-Laren en date du 19 avril 1913 à Antibes
Sources : Archives Départementales des Alpes Maritimes, cote : 2E183

La reconnaissance de la Faculté de médecine de Montpellier et la création de l’association Agnes McLaren

La Faculté de médecine de Montpellier n’a jamais oublié la contribution exceptionnelle d’Agnes McLaren, la première femme à avoir brisé le plafond de verre en son sein. En 2019, elle honore sa mémoire en donnant son nom à la salle de maïeutique de la plateforme de simulation de la faculté. Sa photographie figure désormais parmi les personnalités illustres de l’institution, à côté du buste du professeur Joseph Grasset, rappelant aux générations suivantes l’importance de son héritage.

L’année précédente, en août 2018, s’est créée l’association Agnes McLaren, ayant pour objectif de défendre le souvenir de cette pionnière des femmes en médecine, mais aussi de prolonger son engagement en faveur de la cause féminine. L’association parraine ainsi des jeunes femmes étrangères isolées, afin de faciliter leur accès aux études et de soutenir leur insertion professionnelle.

Depuis 2021, tous les deux ans, l’association et la faculté de médecine de Montpellier décernent un prix de médecine « MacLaren », récompensant les travaux de thèses portant sur la santé des femmes et/ou des enfants en situation de précarité ou de vulnérabilité. Ce prix a déjà mis en lumière des recherches essentielles, comme celles de Justine Allouche, portant sur le dépistage du cancer de l’utérus chez les femmes prostituées, ou celles d’Antoine Guernion, traitant de la détection des violences conjugales lors des examens de médecine générale.

Pour obtenir plus d’informations sur cette structure, dont l’adhésion annuelle n’est que de 10 euros, il est possible de consulter le site www.agnes-mclaren.org ou de contacter directement sa présidente, Mme Caroline Debladis, à l’adresse électronique suivante : agnesmclaren@free.fr.


En définitive, la figure d’Agnes McLaren, inséparable de celle de Madeleine Brès et des autres pionnières de la médecine, incarne le dépassement des obstacles et des préjugés, la persévérance et la conviction que les femmes ont toute leur place dans l’univers médical. Grâce à ces femmes audacieuses, la Faculté de médecine de Montpellier et plus largement l’enseignement supérieur français ont connu une lente, mais réelle, ouverture vers l’égalité des chances, permettant à d’innombrables femmes de suivre leur exemple et de contribuer activement aux avancées de la médecine.

Prix Agnes McLaren 2023 décerné à Antoine Guernion

Bibliographie et liens :

Site de l’association Agnes McLaren

Emission de Radio France Bleu sur l’inauguration de la salle Agnes McLaren de maïeutique à la faculté de médecine.

Après des études en science politique et en géographie et histoire de l'urbanisme, Fabrice Bertrand, né à Montpellier, anime depuis 2016 le groupe Facebook "Montpellier Histoire et Patrimoine" qui compte près de 30.000 membres. Il est aujourd'hui en charge de plusieurs projets, qui visent à mettre en valeur le patrimoine scientifique et intellectuel montpelliérain.

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