L’Étang de Thau, avec ses quelque 7 000 hectares, est bien plus qu’une simple étendue d’eau : il s’agit d’une véritable mer intérieure où les eaux de la Méditerranée pénètrent et se retirent au gré des vents et des courants. Situé au cœur de l’Hérault, cet étang offre un paysage fascinant et un écosystème unique qui a permis l’épanouissement d’une tradition ostréicole ancienne et précieuse. Cette région, connue pour son patrimoine riche et varié, est également célèbre pour ses huîtres, un mets savoureux qui fait partie intégrante de la culture locale.
Des Racines Antiques : L’Origine des Huîtres à l’Étang de Thau
L’histoire de l’Étang de Thau et de la culture des huîtres remonte à l’époque romaine. Les vestiges de la maison romaine de Loupian, sur les rives de l’étang, témoignent de la consommation de coquillages par les Romains. Ceux-ci appréciaient particulièrement les huîtres, qui étaient récoltées à maturité avec des calibres spécifiques de 10 à 12 cm. Les marques de stries sur les coquilles retrouvées suggèrent même des pratiques rudimentaires de culture. À cette époque, seules les huîtres plates peuplaient les eaux de l’étang, les huîtres creuses n’étant pas encore présentes en Méditerranée.
La majorité des huîtres retrouvées sur les sites archéologiques sont des couvercles, indiquant qu’elles étaient probablement destinées à l’exportation, peut-être même transportées dans du sel jusqu’à Rome. Ce commerce de coquillages, bien avant l’ère moderne, témoigne de l’importance des ressources naturelles de l’Étang de Thau.
Bouzigues : Berceau de l’Ostréiculture Méditerranéenne
Bouzigues est un charmant village de pêcheurs et d’ostréiculteurs, typiquement languedocien, avec son port pittoresque, son musée retraçant l’histoire de la conchyliculture sur l’Étang de Thau, et son agréable promenade au bord de l’eau. Dès l’Antiquité, Bouzigues était déjà mentionné par Pomponius Mela, géographe romain, sous le nom de “Polygium”, une “jeune et petite cité barbare”. Le nom évolua au IVe siècle en POSYGIUM ou BOSYGIUM, signifiant “terre en friche”. Ce n’est que bien plus tard que la culture de la vigne se développa dans la région.
L’ostréiculture à Bouzigues prend véritablement son essor à la fin du XIXe siècle. En 1875, l’élevage des huîtres démarre timidement, mais c’est en 1904 que l’histoire prend un tournant décisif avec M. Tudesq, qui commence l’élevage d’huîtres plates après avoir racheté la première concession sur l’étang. Il met alors au point une technique innovante en remplaçant les barres de béton, trop lourdes, par des barres de palétuvier sur lesquelles les huîtres sont collées avec du ciment. Cette méthode remporte un grand succès et marque le début de l’ostréiculture moderne à Bouzigues.
Les Techniques de Culture des Huîtres : Un Savoir-Faire Unique
Aujourd’hui, Bouzigues reste le berceau de l’élevage des coquillages dans le Bassin de Thau, où l’on produit principalement deux types d’huîtres : les huîtres creuses (japonaises ou portugaises) et les huîtres plates, connues sous le nom de “pieds de cheval” en raison de leur forme rappelant un sabot de cheval. L’huître est un organisme fascinant, hermaphrodite à l’origine, avec des mécanismes de reproduction spécifiques à chaque espèce. Les huîtres plates conservent leurs œufs à l’intérieur de leur coquille pour les féconder avant de les expulser après environ dix jours, tandis que les huîtres creuses libèrent leurs œufs directement dans l’eau, où ils sont fécondés par les courants.
Malgré les chiffres impressionnants de reproduction (jusqu’à 100 millions d’œufs pour les huîtres creuses), seules une poignée d’huîtres parviennent à l’âge adulte, soulignant la fragilité et la complexité de leur cycle de vie. Autrefois, la récolte se faisait exclusivement sur les bancs naturels, mais face à la raréfaction de ces derniers, la réglementation a dû évoluer pour protéger ces précieux habitats.

La Culture sur Tables : Une Spécificité Méditerranéenne
La technique de culture utilisée à l’Étang de Thau est unique et se distingue des méthodes pratiquées sur les côtes atlantiques comme à Marennes-Oléron. Ici, les huîtres sont cultivées sur des tables d’élevage sur cordes, une méthode caractéristique de la Méditerranée. Ces installations, ressemblant à de vastes râteaux, sont constituées de portiques d’environ 50 mètres de long et 10 mètres de large, formés de pieux en fer espacés de 5 mètres et reliés par des madriers appelés “plateaux”. Sur ces plateaux sont posées des perches qui soutiennent des cordes, des tiges de fer ou des rondins de bois, sur lesquelles sont fixées les huîtres.
Ce système de culture permet aux huîtres de rester constamment immergées, profitant d’un brassage naturel des eaux assuré par les vents, notamment le mistral, et par les apports d’eau douce des rivières côtières. Contrairement aux huîtres de l’Atlantique qui bénéficient des marées, celles de l’Étang de Thau ne sont jamais découvertes, ce qui confère aux huîtres de Bouzigues un goût et une texture distincts.
Des Naissains Venus d’Ailleurs : Une Pratique Traditionnelle
Le naissain, c’est-à-dire les jeunes huîtres, provient principalement des grands bassins ostréicoles comme Arcachon, l’île de Ré, Marennes-Oléron ou même du Japon. Transportés par camion, ces naissains sont ensuite élevés dans l’Étang de Thau. Le processus de culture se décompose en deux étapes : le demi-élevage, où les jeunes huîtres sont placées dans les conditions idéales pour leur croissance initiale, et l’élevage complet, où elles atteignent leur taille adulte.
Les huîtres sont d’abord collectées et percées pour être enfilées sur des tringles immergées verticalement. On utilise aujourd’hui des cordes de coco goudronnées, une technique inspirée des ostréiculteurs espagnols. Après environ dix mois de croissance, les huîtres sont séparées manuellement (détroquage) et triées : les plus grosses sont prêtes pour la vente, tandis que les plus petites sont recollées sur des supports pour poursuivre leur développement.
Le Savoir-Faire Bouzigaud : Une Tradition Préservée
L’ostréiculture bouzigaude s’appuie sur un savoir-faire transmis de génération en génération. À Bouzigues, la culture des huîtres ne se limite pas à une activité économique : elle fait partie de l’identité locale et contribue à la renommée de l’Étang de Thau. Ce précieux écosystème offre non seulement des conditions idéales pour la culture des huîtres, mais aussi un cadre de vie exceptionnel où tradition et modernité se rencontrent harmonieusement.
La route des mas, qui longe l’ancienne RN 113 et se prolonge jusqu’à Mèze, permet de découvrir les nombreux mas conchylicoles qui jalonnent les rives de l’étang. Ces exploitations familiales perpétuent une tradition vieille de plusieurs siècles, tout en intégrant des innovations pour répondre aux défis modernes, tels que les changements environnementaux et la demande croissante pour des produits de qualité.

Un Héritage à Préserver
L’Étang de Thau et la culture des huîtres représentent un patrimoine inestimable pour la région héraultaise. Ce territoire, avec sa biodiversité unique et ses traditions ancestrales, est une véritable vitrine de l’art de vivre méditerranéen. Les huîtres de Bouzigues, avec leur saveur caractéristique et leur histoire riche, sont un trésor à savourer et à protéger. En visitant cette région, on ne découvre pas seulement un produit d’exception, mais également un savoir-faire et une passion partagée par les hommes et les femmes qui perpétuent cette tradition.
Pour les passionnés de patrimoine et de gastronomie, l’Étang de Thau est une destination incontournable. Que ce soit pour déguster des huîtres fraîchement sorties de l’eau, se promener sur les rives paisibles de l’étang ou explorer les villages pittoresques qui l’entourent, chaque visite est une invitation à plonger dans un monde où nature et culture se mêlent avec élégance et authenticité.