L’Hôtel de Manse

Montpellier recèle de très nombreux trésors cachés – on le sait tous – et l’un des plus remarquables, le fastueux hôtel de Manse, se trouve niché dans une ruelle discrète au nom évocateur de parfums, la rue de l’Embouque d’Or. À quelques pas seulement de la place Pétrarque, se dresse, derrière une façade très sobre, cet Hôtel de Manse, un joyau architectural qui semble tout droit sorti des plus belles rues italiennes.

Cet édifice emblématique, édifié entre 1667 et 1669, marque une césure significative dans l’architecture locale, symbolisant la transition vers une nouvelle esthétique urbaine au XVIIᵉ siècle. À travers son histoire et son architecture, l’Hôtel de Manse illustre la transformation de Montpellier, où l’influence des grandes capitales se mêle à l’évolution du goût local.

Le commanditaire : Jacques de Manse

Au centre de ce projet ambitieux nous rencontrons Jacques de Manse (1628-1699), qui occupait la fonction de président trésorier général de France et intendant des Gabelles. Personnage influent, proche de la famille royale, il appartient à l’élite de l’«oligarchie salinière languedocienne», un cercle restreint qui gère la région et ses ressources. Par un jeu d’héritages et de réseaux, Jacques de Manse devient propriétaire d’une parcelle en plein cœur de Montpellier.

Ce terrain, de forme triangulaire, présente des défis architecturaux majeurs pour son aménagement, nécessitant une approche innovante pour y aménager une demeure digne du rang du commanditaire. L’hôtel doit incarner le prestige de son propriétaire et répondre aux nouvelles exigences esthétiques de l’époque. Le résultat de cette ambition sera une demeure particulièrement élégante, alliant ingéniosité, novation et raffinement.

L’Hôtel de Manse, une architecture

L’hôtel dont il hérite s’ouvre sur la rue Embouque d’Or par deux portes distinctes desservant chacune une cour trapézoïdale. Ce plan irrégulier reflète l’évolution parcellaire de Montpellier, où les familles de la bourgeoisie se devaient, pour construire leurs hôtels particuliers, procéder à l’acquisition de nombreuses demeures mitoyennes et les ajuster au mieux qu’elle pouvait pour y résider bourgeoisement.

C’est ainsi que jusqu’à réaménagement voulu par Jacques de Manse, l’hôtel n’était qu’un assemblage hétéroclite de maisons gothiques, avec coursières, escaliers saillants sur façade, et autres structures archaïques. L’ensemble était en grande partie obsolète et peu en accord avec les nouvelles attentes de modernité du XVIIᵉ siècle et surtout avec celles de puissant magistrat, qui connaissait les nouvelles modes d’habitation des élites parisiennes.

Pour transformer cette propriété contraire à la bienséance en un hôtel particulier digne de son époque, Jacques de Manse fait appel à l’architecte Armand. Ce « maître architecte » se voit confier la mission de rationaliser l’espace, d’aligner les façades et d’apporter une touche d’élégance moderne, plus en rapport avec les goûts du jour. l’architecte propose une réorganisation radicale : il réunit les cours autour d’un escalier de grande qualité, conçoit des façades plus homogènes sur rue, et introduit un portique élégant qui donne cohérence à l’ensemble.

Cette transformation est un véritable défi, et le budget prévu pour les travaux en témoigne. Le prix-fait initial, c’est-à-dire le devis, estimait les coûts d’aménagement à 2 650 livres, mais les modifications apportées ont entraîné un surcoût de 2 318 livres. L’investissement supplémentaire témoigne de la volonté de Jacques de Manse de faire de cet hôtel un édifice à la hauteur de ses ambitions.

L’hôtel de Manse, une influence italienne et parisienne

L’élément central de l’Hôtel de Manse est son escalier monumental, symbole de l’innovation et du raffinement apporté par Armand. Cet escalier, le premier de type suspendu à Montpellier, posé sur voûte en demi-berceau, témoigne de l’influence parisienne et constitue une véritable prouesse technique. Il s’éclaire sur la cour d’entrée par trois ouvertures rectangulaires, surmontées d’un entablement richement décoré de guirlandes de fleurs et de fruits, réunies par des consoles.

L’organisation de la cour autour d’un portique à deux ordres de colonnes – ioniques au rez-de-chaussée et corinthiennes au premier étage – évoque les grandes influences de l’architecture italienne. L’inspiration des architectes italiens Palladio et Peruzzi est manifeste, tout comme celle de l’Hôtel Lambert de Le Vau à Paris. Cette architecture témoigne d’une esthétique régulière, influencée par les modèles classiques, tout en intégrant des éléments typiquement montpelliérains.

Les colonnes rythment harmonieusement l’espace, créant une ordonnance raffinée, agrémentée de décors sculptés de grande qualité.

Une balustrade, aujourd’hui disparue, amortissait la composition d’ensemble au-dessus d’un attique ornementé de thèmes bibliques et mythologiques, apportant une touche finale élégante et symbolique à l’hôtel. Cet ensemble est le reflet d’une véritable révolution esthétique, où le savoir-faire du sculpteur, resté anonyme, vient sublimer la structure.

L’intervention d’Armand est bien plus qu’une simple rénovation : c’est une transformation radicale qui inscrit l’Hôtel de Manse dans la modernité de son temps. Par cette oeuvre, Montpellier s’émancipe peu à peu de ses traditions gothiques et renaissances pour s’inscrire dans un courant classique, influencé par les grands modèles de l’Italie de la Renaissance et de la capitale française.

Au XIXème siècle, cette cage d’escalier est fermée par une immense verrière composée de vitrail. C’est une nouvelle adaptation de l’hôtel aux nouvelles exigences de confort des propriétaires.

L’Hôtel de Manse est une construction particulièrement élégante, certainement une des plus élégantes de Montpellier, où chaque élément est proportionné avec soin, où le trait de génie de l’architecte Armand prévaut sur l’esprit du maçon. Il marque ainsi l’émergence d’un style architectural nouveau à Montpellier. L’influence parisienne, mêlée à des inspirations italiennes, s’incarne dans cette demeure qui symbolise l’évolution du goût des élites montpelliéraines dans cette seconde moitié du XVIIᵉ siècle.

Bibliographie et liens

Fiche sur l’hôtel de Manse de la base Monumentum