A la fin du 19ème siècle, les journalistes de la presse montpelliéraine se font souvent l’écho de la présence dans notre commune de nombreux italiens. Ces articles trouvent leur origine dans la grande tradition d’immigration transalpine qui connut toutefois son apogée durant la Troisième République.
L’Hérault et notamment Sète ont toujours entretenu avec l’Italie des liens très proches. A Montpellier, on a tous en mémoire la prospérité des marchands lombards qui établissaient leurs commerces aux abords de Notre-Dame-des-Tables, sanctuaire majeur de notre ville durant le Moyen-Age. C’est même une fierté de notre ville que l’on n’hésite pas à mettre en avant aujourd’hui comme élément constitutif de notre histoire. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans un prochain article qui s’intitulera “Montpellier, ville marchande durant la période médiévale”.
Mais si ces marchands transalpins avaient été bien accueillis aux 12ème et 13ème siècles, leurs successeurs du 19ème siècle subirent un accueil moins agréable. Fuyant la misère de leur pays qui n’est unifié que depuis 1861, avec la proclamation du Royaume d’Italie, et qui est marqué par une très faible industrialisation mais également par l’archaïsme des structures agricoles, de nombreux italiens vont tenter leur chance aux Etats-Unis, en Argentine mais également en France. Notre pays connaît un fort développement industriel et semble être en mesure d’héberger tous leurs rêves. C’est ainsi plus de 260.000 italiens qui cherchent refuge en France franchissent les Alpes du début du Second Empire à 1901. Montpellier qui a alors, grâce au développement des activités viticoles, un développement économique important, fait partie des villes privilégiées. Les italiens, souvent jeunes, vont également fournir des bras pour la construction de notre ville, mais aussi pour les récoltes de sel des salins du Midi. L’apport des italiens n’est à ce jour pas chiffré, mais il pourrait bien, au regard des registres d’Etat-civil s’élever à 600 à 700 immigrés italiens, avec leurs enfants ,dans notre ville. En 1851 Montpellier ne compte que 45.811 habitants. Cet important afflux, comme on peut s’en douter, va être à l’origine d’un important rejet de la population, ainsi qu’en témoignent ces articles de la dernière décennie du 19ème, qui, je pense, ne manqueront pas vous rappeler certaines chroniques récentss.
Ainsi, en 1889, le 10 juin, les chroniqueurs de l’Eclair, n’hésitent pas à produire un long article sur cette “invasion d’italiens”, ainsi qu’ils la qualifient d’eux-mêmes dont notre ville ville serait victime. Sans le commenter, nous vous le livrons tel qu’il fut publier dans ce journal : “Depuis quelque temps, la ville de Montpellier est littéralement inondée de petits italiens, garçons et filles, en costumes pittoresques, mais sales, qui parcourent les rues, tendant la main et chantant des chansons.
Cette exploitation de la charité publique a pris une extension telle qu’elle mérite d’être examinée de près par la police. Nous disons exploitation, car il est absolument inadmissible qu’il existe dans notre ville suffisamment de familles italiennes réduites à la mendicité pour jeter sur le pavé ce bataillon de musiciens. Il est certain que ces petits malheureux sont formés en groupe travaillant au profit de quelque entrepreneur.
Nous croyons donc qu’il appartient à la police de rechercher qu’elle est l’organisation de ces bandes, et de surveiller les faits et gestes d’exploiteurs sans scrupule.
Il y a des intérêts de police à savoir ce que sont et ce que veulent ces individus. Il y a, en outre, un intérêt moral considérable à arracher, si possible, ces malheureux petits enfants au sort qui les guette et qui fera des garçons des recrues pour les maisons centrales, et des filles, des recrues pour le bataillon du trottoir.
Que M. le maire, ou M. Le commissaire central, prête, un instant l’oreille aux chansons des petites filles de huit à quinze ans qui parcourent actuellement nos rues : il en pourra traduite, sans efforts, les strophes, mi-partie languedociennes, mi-parties italiennes. Il en conclura comme nous qu’une fillette dont la mémoire est garnie de pareilles poésies (?) ne peut guère rester longtemps honnête.
Et il sera convaincu que ce ne serait pas grand chose inutile que de demander à ceux qui ont assumé la charge de ces enfants quelques explications sur leur méthode d’éducation.“
Quelque 10 ans plus tard, après plus d’une quarantaine d’autres articles traitant du “problème italien” dans les colonnes des journaux montpelliérains, le journal “Le Pétit Méridional”, partage cette information que son confrère “L’Eclair” ne releva pas, tant il semblait courant à cette époque. Il s’agit de l’histoire d’un jeune italien qui passa sous les rues d’une voiture : Un accident qui n’a, fort heureusement, pas eu les suites funestes que l’on avait craint au premier abord, a mis hier soir en grand émoi tous les passants qui se trouvaient vers 6 heures 3 quarts sur la place de la Comédie.
A cette heure-là, une voiture anglaise descendait la rue de la Loge lorsque, arrivée en face la Grande maison, un marmot de 5 ans et demi, d’origine italienne, nommé Joseph Ailico, logé à Campanini, qui mendiait par là, avec sa soeur, voulut traverser juste devant le cheval, pour rejoindre cette soeur qui se trouvait de l’autre côté de la rue.
Renversé et piétiné par le cheval, l’enfant roula sous la voiture dont une des roues lui passa au travers du corps, malgré les efforts du conducteur, M. Charles Roussel, âgé de 29 ans, employé de commerce, rue Verdeilhe, n°6, pour retenir son véhicule. Tous les assistants à la scène poussèrent un cri et l’on se précipita sur l’enfant qui fut immédiatement transporté à la pharmacie André.
Mais, malgré l’apparence après de tels événements, M. le docteur Kleinschmidt qui visita l’enfant déclara qu’aucune fracture ni lésion interne n’avait été causée par la roue de voiture ou les pieds du cheval. Le petit bonhonne, qui l’échappait si belle, put même être reconduit de suite chez lui sous la surveillance d’un agent désigné par M. Chabrier, commissaire de police qui s’était immédiatement rendu sur les lieux.”
Comme quoi, l’histoire se répète et chaque génération a besoin de ses boucs-émissaires, de son racisme ordinaire pour oublier ses propres faiblesses… Demain, samedi, vous aurez un autre article sur cette thématique pour bien vous faire comprendre l’importance de ce rejet envers de ce peuple que nous considérons aujourd’hui issu d’un pays-frère et qui trouvera son paroxisme, de façon tragique, dans notre région avec le massacre des ouvriers italiens sur les salins d’Aigues-Mortes les 16 et 17 août 1893.
Bonne journée à tous.
Source de l’illustration : La Domenica del corriere, 17 novembre 1946 (Collection personnelle)