Henri Pitot et l’aqueduc Saint-Clément

Henri Pitot fait partie de ces génies du XVIIIe siècle, de ces savants de l’Ancien Régime qui honoraient la France de leur savoir.

Il compte parmi les personnalités dont Montpellier et le Languedoc peuvent s’enorgueillir. Nous autres Montpelliérains lui devons l’aqueduc Saint-Clément, qui porte aujourd’hui son nom, et qui permit à la ville de Montpellier de connaître un immense développement.

Henri Pitot

Henri Pitot : Le destin extraordinaire d’un génie autodidacte

Les origines familiales d’Henri Pitot

Henri Pitot naît le 31 mai 1695 dans une famille bourgeoise d’Aramon, dans le Gard, dont la fortune avait été affectée par les Guerres de Religion. Sa famille paternelle était originaire du village de Marguerite, aux riches plaines céréalières, tandis que sa mère, Jeanne de Julian, appartenait à une famille en voie d’anoblissement de la prospère cité de Beaucaire.

Ce fils d’une famille nombreuse — dix frères et sœurs au total — entre comme pensionnaire au Collège des Doctrinaires de Beaucaire. Il n’est guère séduit par leur enseignement, principalement axé sur la grammaire, le latin et le grec.

Désespéré par le jeune Henri, son père le fait engager dans le régiment de Royal Artillerie. Sa carrière aurait pu être celle d’un cadet de famille, destiné à gagner sa vie sur les champs de bataille. Mais son destin fut autre, comme l’avait prédit un prophète gardois à ses parents : « Un jour il fera honneur à sa famille ».

La naissance d’une passion pour les sciences

Sa vie prend un tournant décisif en 1713. Lors d’une promenade dans les rues de Grenoble, où il vient d’être muté, il découvre un traité de géométrie qui captive son attention. Cette lecture éveille sa passion et lui révèle que son avenir ne sera pas militaire. La signature de la paix de Rastadt, qui met fin à la guerre de Succession d’Espagne, le libère alors de ses engagements.

De retour à la maison familiale d’Aramon, il se plonge dans la géographie du Père Labbe et dessine une mappemonde détaillée. Il étudie avec ardeur les travaux d’Euclide, Denis Henrion, Deschalès, ainsi que l’arithmétique de Le Gendre et les traités d’arpentage et de balistique. Sa soif de connaissance le pousse vers des ouvrages toujours plus complexes, qu’il aborde avec une détermination inébranlable.

L’astronomie devient sa passion. Il transforme une tour de la maison paternelle en observatoire, y trace une méridienne et d’autres instruments astronomiques. Depuis ce belvédère, il effectue d’étonnants calculs mathématiques qui intriguent son père. Ce dernier sollicite alors un abbé d’Uzès pour évaluer les connaissances de ce fils qui n’avait jamais brillé dans ses études. L’abbé, qu’il fût érudit ou non, reconnaît le niveau d’instruction remarquable du jeune homme et recommande qu’il poursuive ses études à Paris. Face à la détermination de son fils, le père suit les conseils du religieux, stupéfait de voir l’ancien cancre devenu savant.

La reconnaissance d’un talent

En 1718, à 23 ans, Henri part pour la capitale, muni d’une lettre de recommandation de la marquise d’Aramon pour le grand physicien Réaumur. Ce dernier l’accueille chaleureusement et lui ouvre les portes de son immense bibliothèque encyclopédique. Henri se passionne alors pour l’hydraulique et l’astronomie, passant ses soirées à l’Observatoire aux côtés de jeunes apprentis qui, comme lui, aspirent à intégrer l’Académie royale des Sciences pour vivre de leurs passions.

Il se fait remarquer par une étude précise d’une éclipse solaire prévue le 22 mai 1724. Seul à calculer précisément sa durée grâce aux travaux de Le Hire, il en publie les résultats dans le Mercure de France en 1722. Cette réussite lui ouvre les portes de l’Académie comme adjoint mécanicien. À 32 ans, il est promu associé mécanicien à l’unanimité de l’Assemblée. Néanmoins, la section Astronomie lui échappe au profit de son confrère languedocien, le Biterrois Jean-Jacques Dortous de Mairan.

Loin de le décourager, cet échec renforce son engagement auprès de Réaumur. Il l’accompagne dans le Nivernais, particulièrement aux forges de Cosne, où il étudie les porcelaines et les vernis, alors très prisés à la cour de Louis XV. En 1732, ce génie polyvalent aide l’éminent scientifique à concevoir son thermomètre — qui deviendra le célèbre thermomètre de Réaumur — en travaillant notamment sur l’étalonnage et le dessin des graduations.

Entre 1724 et 1742, il rédige trois mémoires d’astronomie, six de géographie et cinq d’hydraulique. Sa théorie de la manœuvre des vaisseaux, publiée en 1731 et traduite en anglais, lui vaut en 1740 une prestigieuse élection à la Société Royale de Londres.

Parallèlement à ses travaux scientifiques, il s’initie à l’ingénierie et à l’architecture. Il supervise la construction d’un pont à L’Isle-Adam et suit passionnément l’édification de la façade de Saint-Sulpice.

S’ouvre alors la seconde partie de sa vie, que nous raconterons prochainement. Elle nous mènera en Languedoc, où le président-né de la province, reconnaissant ses talents, lui confiera d’importants chantiers : l’assèchement des marais d’Aigues-Mortes, l’aqueduc Saint-Clément ou encore le doublement du Pont du Gard, parmi tant d’autres…

L’assèchement des marais d’Aigues-Mortes et la direction des Travaux Publics de la Province

C’est en 1740 que l’archevêque de Narbonne, président né des Etats du Languedoc, demande à l’Académie de Paris un rapport sur l’assèchement des marais d’Aigues-Mortes où règne une mortalité terrible, due au paludisme. Henri Pitot, reconnu comme un des meilleurs hydrauliciens du royaume de France, est délégué pour donner son avis. Il fait une investigation systématique des territoires languedociens et les Etats sont particulièrement satisfaits du travail effectué. Il propose que les graus soient entretenus, et que de nouvelles circulations d’eau soient créées afin de réduire les eaux croupissantes. Sage précaution qui permet aux populations de ces territoires de trouver une vie meilleure, mais également une gestion différente des salins dont le Languedoc a su et va tirer d’énormes profits.

Les dignitaires de la province, et en particulier l’archevêque de Narbonne, président-né des Etats, souhaitent s’associer les services de cet immense scientifique. En 1742, ils lui offrent le poste de directeur du Canal Royal du Midi et des Travaux Publics, dans la Sénéchaussée de Nîmes, une charge particulièrement importante et rémunératrice. Et c’est dans l’exercice de cette fonction qu’il va révéler une maîtrise parfaite de la technicité de son temps mettant en application sur le terrain ses théories.

La célébration parisienne d’un génie

Il faut imaginer que pour le scientifique qu’il est, renoncer à sa vie parisienne et à l’effervescence scientifique, ne fut pas un choix facile. Il accepte toutefois de faire ses bagages en 1742 avec le titre de pensionnaire vétéran de l’Académie des Sciences. Mais ce n’est pas pour autant qu’il perd le contact avec ses anciens collègues de l’académie. Il se rend durant son séjour languedocien à huit reprises à Paris et envoie des plantes méditerranéennes à Réaumur. Il entretient une importante correspondance avec ses amis scientifiques de la capitale, mais également avec Voltaire, alors que l’homme de calculs mathématiques qu’il est, s’intéresse assez peu à la philosophie. Même éloigné de Paris, l’Académie continue à lui rendre hommage. En 1748, Pitot, le Languedocien, est nommé pensionnaire géomètre de l’Académie par choix du Roi et de l’Académie. Il devient également examinateur des inventions. C’est ainsi que le maréchal de Saxe présente une machine à remonter les fardeaux, devant laquelle il répliqua que seul le père éternel pourrait la faire fonctionner. Devant une telle franchise, le maréchal va accepter de recevoir des leçons d’Henri Pitot et va nouer avec lui une vraie amitié. Après une vie bien remplie de réalisations qui ont changé la vie de ses contemporains, et sur lesquelles nous reviendrons dans trois prochaines publications, Pitot prendra sa retraite en 1762. Quatre ans plus tard, il est très fatigué par ses nombreux déplacements et s’installe à Aramon où sa passion ne saurait le quitter. Il construit nombre de modèles réduits de machines hydrauliques, fait des expériences de physique et des calculs sur le cours des comètes. C’est le 27 décembre 1771 que le savant pousse son dernier souffle. Son corps est inhumé dans la chapelle de l’église des Recollets d’Aramon où il avait construire son tombeau. De façon terrible, en 1837, l’église est désaffectée et transformée en écurie, les restes du grand homme sont jetés dans une fosse commune. « Sic transit gloria mundi »… Ainsi passe la gloire du monde…

Les réalisations d’Henri Pitot

Le doublement du Pont du Gard

Pont du Gard Doublement par Henri Pitot Carte postale

Le doublement de l’aqueduc du Pont du Gard par un pont routier est en fait un des tous premiers projets d’aménagement mené en Languedoc par l’académicien ingénieur mécanicien Henri Pitot. Il y intervint dans le cadre de ses nouvelles fonctions à la demande des Etats du Languedoc. Ces derniers souhaitaient assurer une meilleure circulation sur le grand chemin royal qui ouvrait le Bas Languedoc sur les régions du centre, du Lyonnais et dans leur prolongement Paris. Il en allait également de la vitalité commerciale de la place de Beaucaire où se tenait la plus grande foire du sud de la France.

Jusqu’à l’intervention d’Henri Pitot, le franchissement du Gardon était particulièrement délicat. Il existait bien un pont, le pont Saint Nicolas de Campagnac, en amont du Pont du Gard, mais on ne pouvait l’emprunter qu’après un important détour et encore une fois franchi, l’accès à Nîmes se faisait par une route quasiment impraticable pour les charrettes. On avait également la possibilité de passer sur un gué en aval de Remoulins, mais compte tenu du caractère imprévisible du Gardon, sa traversée était très aléatoire et de toutes façons risquée pour les marchandises et les voyageurs.

Il n’existait donc pas de réels moyens sécurisés pour franchir le Gardon si ce n’était l’ancien aqueduc romain qui ne servait plus à transporter l’eau jusqu’à la ville de Nîmes et que l’on avait petit à petit aménagé en pont routier pour permettre le passage des voyageurs. En effet, l’aqueduc connu sous le nom de Pont du Gard cessa d’alimenter la Rome française au commencement du 6ème siècle, où à la suite de la bataille de Vouillé, les Francs prirent le contrôle de la région d’Uzès, alors que les Wisigoths se maintenaient sur le territoire nîmois. Mais ce fort modeste passage n’était accessible qu’après un important détour et en aucun cas avec de lourds chargements. De plus le chemin d’accès se retrouvait fréquemment sous les eaux du fleuve tempétueux. Donc son utilisation restait très aléatoire.

Capture decran 2025 02 19 a 14.15.06

Depuis la fin du Moyen Âge, on avait creusé les arches du second niveau pour permettre une circulation entre les deux rives. Ces échancrures dans les piliers s’élargissaient au fil des siècles pour laisser passer des chargements toujours plus lourds, jusqu’à atteindre un seuil critique qui menaçait la stabilité de l’édifice. À la fin du XVIIe siècle, la pérennité de l’ensemble était si compromise que les États durent réparer ces échancrures, optant plutôt pour des passages en encorbellement au niveau des piles sur les avant-becs. Cette solution ne résolut pas pour autant le problème de circulation, car aucun chargement important ne pouvait y passer — seules les petites charrettes tirées par des mulets pouvaient l’emprunter.

Henri Pitot étudia quatre possibilités de franchissement du Gardon. Son choix se porta rapidement sur l’adossement d’un nouveau pont routier à l’antique aqueduc. Les facilités de fondation qu’offrait la jonction de l’aqueduc et du nouveau pont l’ont convaincu d’opter pour cette solution. Sa mission visait en effet à créer un franchissement permanent et durable. Les autres projets étudiés s’avéraient soit trop coûteux à construire, soit techniquement irréalisables, soit trop exigeants en entretien. Le nouveau pont routier devait s’appuyer sur la face est de l’aqueduc, au niveau de son étage inférieur. Une nouvelle route était nécessaire pour le raccorder à la voie principale. Bien que plus long, ce tracé représentait un coût moindre pour les États du Languedoc.

L’intelligence de l’académicien le conduisit à séparer les deux structures, préservant ainsi leur indépendance. Cette décision ingénieuse devait leur garantir une plus grande longévité, car l’aqueduc se trouvait ainsi libéré des forces de traînée arrière qui érodent les joints et fragilisent les fondations. Pour y parvenir, il fit aplanir les pierres saillantes de la partie inférieure de l’aqueduc et doubla les arches dans le sens du courant.

Pour son projet, Pitot envisagea d’abord de créer un pont similaire au Pont Neuf de Paris, construit au début du XVIIe siècle, avec ses riches ornements et ses balcons semi-circulaires surplombant des arrière-becs triangulaires. Mais d’autres solutions s’offraient à lui. Il décida finalement de s’inspirer du Pont Royal de Paris, achevé dans la dernière décennie du XVIIe siècle, en l’adaptant aux spécificités du site. À propos de sa création, il déclara que les ouvrages les plus simples, en architecture, sont souvent les plus beaux, c’est pourquoi à l’imitation du Pont Royal de Paris, il ne sera fait aucun ornement à ce nouveau pont, comme bandeaux, pilastres, cadres ou tableaux. Dans un souci d’intégration parfaite, il préconisa également que toutes les pierres de taille qui seront employées seront tirées du bois de l’Étoile que l’on pourrait appeler les carrières du Pont du Gard, parce qu’il est certain que toutes les pierres que les Romains ont employées à la construction de ce pont ont été tirées du bois de l’Étoile lesquelles n’en sont éloignées que de trois cents toises.

90294678 1125872584415663 4621884718919450624 n

Ainsi, il parvint à intégrer sa création si parfaitement qu’elle semble, de loin, faire partie intégrante de l’ensemble romain. Cette approche répondait aux préoccupations des amateurs d’antiquités — les « antiquaires » comme on les nommait à l’époque. Il s’effaça humblement devant la grandeur du monument qu’il avait face à lui, agissant en véritable conservateur du patrimoine, soucieux de l’environnement architectural dans lequel il intervenait. En cela, il apparaît comme un précurseur de nos actuels inspecteurs du patrimoine et architectes des Bâtiments de France, qui privilégient l’intégration harmonieuse des nouvelles structures. Là où certains architectes contemporains cèdent à la tentation de confronter les styles — pas toujours avec bonheur — messire de Pitot, seigneur de Launay, se distinguait par sa sensibilité exceptionnelle. Il était, au sens le plus noble du terme, un homme de l’art, une qualité devenue rare chez nos architectes d’aujourd’hui.

La réalisation de ce pont débuta le 18 juin 1743, après la rédaction de deux cahiers des charges — l’un pour le pont, l’autre pour le chemin — et la nomination des entrepreneurs par les États. Ce même jour, une plaque de cuivre gravée fut scellée sur la première pierre. Mais le Gardon se montra hostile dès les débuts du chantier. Les entrepreneurs subirent ses crues dévastatrices qui, par deux fois, en août et en octobre, ravagèrent les travaux et endommagèrent les pierres de taille. Le 20 novembre 1743, une nouvelle catastrophe survint : le Gardon sortit brutalement de son lit, détruisant le ciment et laminant les bases de liaison entre les pierres. Les cintres du nouveau pont commencèrent à se déformer et à se fissurer. Loin de se décourager, Pitot redoubla de détermination : il ordonna aux équipes d’accélérer la cadence et aux entrepreneurs de doubler leurs effectifs pour tenir les délais. En novembre 1744, plus des deux tiers des travaux étaient achevés. Le nouveau pont fut terminé en février 1745. Vingt mois avaient suffi pour parachever cette œuvre magistrale et inscrire le nom d’Henri Pitot au panthéon de l’excellence languedocienne.

90237857 1125872667748988 8051716786845908992 n 1

Cet ouvrage d’art servit pendant près de deux siècles à la circulation — d’abord hippomobile, puis automobile. Les progrès technologiques, notamment la construction de l’autoroute A9, mirent fin à son utilisation. En 1994, sa destruction fut même envisagée. Pourtant aujourd’hui, il témoigne magnifiquement du génie d’Henri Pitot et permet aux visiteurs et aux passionnés d’antiquités d’admirer au plus près le chef-d’œuvre romain, avec ses marques du temps, tout en préservant l’harmonie du site.

Henri Pitot et l’aqueduc Saint-Clément

130341500 1341920729477513 1267022076332340190 n

Le 13 décembre 1751, le conseil général renforcé de la ville de Montpellier délibère sur un projet ambitieux : conduire l’eau des fontaines de Saint-Clément jusqu’à la place royale du Peyrou, point culminant de la ville. L’affaire est d’une telle importance qu’un registre spécial est créé pour consigner l’ensemble des délibérations.

Henri Pitot, hydraulicien de premier rang et enfant du pays devenu parisien de carrière et académicien, est l’ingénieur de ce colossal ouvrage qui nécessite pas moins de 14 kilomètres de canalisations tant souterraines qu’aériennes. Il a offert ses services à la province des États de Languedoc.

Parmi tous les projets proposés, les États et la ville de Montpellier choisissent celui qui aligne le dernier tronçon de l’aqueduc — que l’on nommera les Arceaux — avec l’entrée triomphale de Daviler, la porte du Peyrou. Ce projet ambitieux vise non seulement à approvisionner les Montpelliérains en eau, mais aussi à embellir la place royale et à contribuer à l’esthétique de la ville.

Dans cette optique, Henri Pitot présente un mémoire aux consuls de Montpellier le 8 janvier 1752, puis au Roi le 11 avril 1752. Plus de dix années seront nécessaires pour mener à bien cette mission, et il devra patienter davantage encore avant de voir l’aqueduc définitivement relié à la place royale du Peyrou par les derniers arceaux le raccordant au château d’Eau.

La question de la propriété de la source devait être résolue. En effet, celle-ci appartenait à messire Duvidal de Montferrier, personnage influent qui occupait à la fois les fonctions de syndic de la province et de président de l’Académie des Sciences de Montpellier. Ne pouvant rien refuser à la province ni à la ville de Montpellier, il céda gratuitement la propriété de sa source et autorisa le passage à travers ses terres. En contrepartie de cette généreuse concession, il obtint pour son hôtel particulier de la rue de l’Aiguillerie un privilège remarquable : une concession d’eau gratuite et perpétuelle — qui subsista même durant la Révolution.

Pitot entreprend une révision complète du projet de messire de Clapiès pour minimiser les ouvrages d’art nécessaires et éviter les terrains meubles qui exigeraient d’importants travaux de terrassement. Il s’inspire alors du modèle architectural du Pont du Gard, qu’il connaît parfaitement pour y avoir lui-même adjoint un second pont facilitant la circulation entre les deux rives du Gardon.

Les travaux de l’aqueduc montpelliérain débutent en juin 1753 et s’achèvent en décembre 1765. Le projet consiste à relier la source de Saint-Clément à la ville de Montpellier, plus précisément à la place royale du Peyrou, où Pitot envisage la création d’un simple bassin. Le château d’eau sera construit quelques années plus tard et intégré dans un projet plus vaste, que nous aborderons dans un prochain article. Le tracé s’avère complexe à réaliser en raison d’un relief accidenté dans sa première partie. Il nécessite la mise en place de conduites aériennes et souterraines, ainsi que des équipements de surveillance et d’entretien. L’aqueduc s’étend sur 13 904 mètres exactement. Sa partie aérienne, formant le dernier tronçon, comprend 51 grands arceaux de 8 mètres d’ouverture, dont 14 reposent directement sur le sol. Cette section mesure 880 mètres de long et atteint une hauteur moyenne de 22,55 mètres sur la place des Arceaux. Malgré ces nombreux défis techniques, Henri Pitot parvient à mener à bien ce projet remarquable.

Le 7 décembre 1765, la population montpelliéraine se masse sur la place royale pour entendre le bruissement de l’eau pure de Saint-Clément. Le précieux liquide se fait attendre. L’archevêque de Narbonne, président né des États, s’impatiente et lance à messire Pitot une remarque cinglante : « Monsieur le mécanicien, on m’affirme que les eaux de Saint-Clément ne monteront pas jusqu’ici. » L’Académicien, avec esprit, répond : « Il est vrai monseigneur, elles ne monteront pas, elles descendront. » Et sur ces paroles, alors que les opposants au projet se réjouissent de voir l’impatience gagner l’assemblée, l’eau jaillit enfin dans le bassin du Peyrou. Pitot vient ainsi d’apporter l’eau à la ville et de rendre à Montpellier un service inestimable, moyennant un emprunt d’un million de livres dû aux nombreux dépassements de budget.

Le château majestueux, que tout le monde connaît aujourd’hui sous le nom de «Temple des Eaux», ne sera construit que bien plus tard à l’initiative des États du Languedoc. Ceux-ci lanceront un concours et confieront l’examen des projets à un jury d’académiciens. Cette commission retint les dessins de Giral et de Donnat, représentant un réservoir-belvédère accessible par deux montées latérales arrondies. Derrière cette volonté esthétique se cache l’ambition des États du Languedoc de marquer leur domination sur l’espace régional. En effet, depuis le Peyrou, on domine non seulement l’ensemble de l’espace environnant, mais on peut même apercevoir, par temps clair, les pics des Alpes, des Pyrénées et des Cévennes. La ville poursuivit les aménagements liés à l’arrivée de l’eau en faisant réaliser trois fontaines monumentales à l’intérieur de ses murs : la célèbre fontaine des Trois Grâces, la fontaine aux licornes et la fontaine dite des États.

130415279 1341920779477508 6409066882905615887 n

L’arrivée abondante de l’eau dans les villes languedociennes transforme le rapport à l’urbanisme et la mise en valeur de l’espace urbain. L’eau devient porteuse de messages, magnifiée par de grandes fontaines monumentales. Mais ceci est une autre histoire que nous vous raconterons

Après des études en science politique et en géographie et histoire de l'urbanisme, Fabrice Bertrand, né à Montpellier, anime depuis 2016 le groupe Facebook "Montpellier Histoire et Patrimoine" qui compte près de 30.000 membres. Il est aujourd'hui en charge de plusieurs projets, qui visent à mettre en valeur le patrimoine scientifique et intellectuel montpelliérain.

Laissez le premier commentaire

Review Your Cart
0
Add Coupon Code
Subtotal
Total Installment Payments
Bundle Discount